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FEBVRE LUCIEN (1878-1956)

Une œuvre personnelle inaboutie

Son œuvre personnelle demeure marquée par le souci du travail collectif. En 1922, l’ouvrage La Terre et l’évolution humaine, commentant les travaux de l’école française de géographie (fondée par Paul Vidal de La Blache) et critiquant la géographie déterministe (représentée notamment par Friedrich Ratzel), paraissait accompagné de la mention de la collaboration du géographe Lionel Bataillon. En 1931, il signe avec le géographe Albert Demangeon un livre de commande sur le Rhin. Après la guerre, il prépare avec Henri-Jean Martin une histoire du livre (L’Apparition du livre, 1958) et avec Robert Mandrou une histoire de la France moderne (Introduction à la France moderne. 1500-1640, 1961) que celui-ci signera seul. Avec François Crouzet, il entreprend en 1950 la rédaction d’un « Manuel d’histoire de la civilisation française » (Nous sommes tous des sang-mêlés, qui ne sera publié qu’en 2012). Enfin, ses travaux sur la religion au xvie siècle portent la marque de sa collaboration avec une historienne autrichienne émigrée à Paris, Lucie Varga.

Collaborateur régulier ou épisodique de nombreuses autres revues, Lucien Febvre n’a pas renoncé à développer une œuvre personnelle considérable, qui s’est déployée sur deux registres majeurs : l’histoire intellectuelle et l’histoire religieuse. Dès ses premiers articles sur l’irréligion de Rabelais ou sur la Réforme en France et son ouvrage sur Luther (Un destin, Martin Luther, 1928), il inscrit son questionnement dans une perspective sociale et culturelle large que résumera imparfaitement la notion d’histoire des mentalités. Toutefois, il ne parviendra pas à réaliser l’ambitieux programme d’ouvrages sur l’histoire religieuse du xvie siècle qu’il proposa à Henri Berr pour la collection « L’Évolution de l’humanité ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, il retrouve le temps nécessaire pour achever ses grands livres sur Le Problème de lincroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais (1942), sur Marguerite de Navarre (Amour sacré, amour profane. Autour de l«Heptaméron», 1944), préparés de longue date, en particulier par des comptes rendus substantiels. Aucun de ces livres n’est une biographie mais, par le biais d’une étude de cas, en l’occurrence d’un personnage inscrit dans un milieu social, des réseaux d’affinités, Lucien Febvre propose une étude concrète à partir d’un problème qu’il estime mal ou insuffisamment posé et qu’il s’efforce de reprendre de manière critique. C’est le cas notamment de « l’athéisme » présupposé de Rabelais, suggéré notamment par son biographe Abel Lefranc, que Febvre estime être une projection anachronique du présent (laïcité) sur un xvie siècle imbibé de religieux.

Malgré une influence considérable de son vivant et longtemps après sa mort, il aura manqué à la postérité de Lucien Febvre une synthèse méthodologique que n’offrent guère les volumes collectifs qu’il avait préparés et qui sont parus à la fin de sa vie et après sa mort. À une apologie du métier d’historien, il a préféré des Combats pour lhistoire (1953), dont les enjeux ne sont plus aujourd’hui aussi perceptibles parce qu’ils se sont partiellement déplacés. Pourtant, son œuvre demeure largement à (re)découvrir, car elle n’a pas fini de nous révéler un questionnement qui nous demeure largement indispensable.

— Bertrand MÜLLER

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Lucien Febvre - crédits : AGIP/ Bridgeman Images

Lucien Febvre

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