ABRAMOV FEDOR ALEKSANDROVITCH (1920-1983)
Dernier enfant d'une grande famille de paysans privée de père, Abramov a dû gagner son pain dès l'âge de sept ans. Il est parti à la guerre comme volontaire ; il y fut gravement blessé et termina ses études supérieures à l'université de Leningrad où il fut tour à tour enseignant puis responsable de la chaire de littérature soviétique (1956-1960).
Il a servi avec zèle le pouvoir qui a fait de lui un universitaire connu. Dès 1945 il adhère au Parti communiste ; auteur d'une thèse sur Cholokhov, il est un orthodoxe du réalisme socialiste. Mais, à côté de cela, comme Chagall est resté sa vie durant le fils de Vitebsk, Abramov est resté le fils de la Russie du Nord (il est originaire du village de Verkola, sur la rivière Pinega, dans la région d'Arkhangelsk) où, plus longtemps qu'ailleurs, s'est conservée grâce à l'éloignement, aux forêts, aux vieux-croyants, la Russie ancienne du lin et du bois, du cheval et de l'isba, des chants et des contes. Il fait ainsi partie de ce qu'on a appelé le « courant paysan » qui, pendant deux décennies, domine les lettres russes. Parmi ces écrivains qui ont pour but de réhabiliter une campagne que l'idéologie stalinienne a humiliée ou travestie, Abramov, à la différence d'un Belov plus passéiste, d'un Likhonossov plus sentimental, se définit comme le tenant d'une littérature « analytique et réaliste ». Cette recherche de la vérité, cette volonté de dire le vrai (avec l'acceptation naïve de la forme romanesque du xixe siècle russe) ne sont compréhensibles que dans un contexte où toute une littérature a menti sciemment. Au contraire, en 1963, dans le reportage « Vokrug da okolo » (Autour et alentour), Abramov trace un portrait sans fard d'un kolkhoz et de l'état catastrophique de la campagne, ce qui lui vaudra une avalanche de critiques. C'est à ce moment, peut-être, que se produit la coupure qui détachera Abramov de l'officialité. Il ne s'agit pas pour autant de voir un dissident dans cet écrivain : Abramov se situe dans cette zone imprécise où la remise en cause intérieure des dogmes ne se traduit pas par une rupture ouverte avec le régime.
Reste que sa tétralogie est un des tableaux les plus durs qu'ait donnés la littérature soviétique. Les quatre romans, Bratja i sestry, Dve zimy i tri leta, 1968 (Deux Hivers et trois étés), Put'ja pereput'ja, 1971 (La Croisée des chemins), la seule œuvre d'Abramov à avoir été traduite en français, Dom, 1978 (La Maison), constituent une chronique de son village (baptisé Pékachino) où il a voulu donner « une coupe des trente dernières années (1942-1972) de la vie paysanne en Russie ». On y voit les souffrances de l'arrière pendant la guerre, quand tout doit servir le front ; les désillusions et la famine de l'après-guerre ; on y voit un parti, des agents du fisc pressurant le paysan ; on y voit le stalinisme en œuvre avec ses côtés absurdes et criminels ; dans la campagne actuelle, Abramov montre l'indifférence, l'ivrognerie généralisée, les terres abandonnées... Mais, dans le même temps, il nous donne à voir, avec la famille centrale du cycle, les Priasline, des paysans travailleurs, assoiffés de justice et de vérité. Il y montre un travail paysan encore proche de la nature. C'est cet amour de l'ancienne Russie rurale et de ses valeurs qui a rapproché Fedor Abramov des néo-slavophiles. Tout comme Soljénitsyne avec sa Matriona ou Raspoutine avec sa Daria, Abramov incarne ces vertus dans la figure d'une vieille femme, la Melentievna de Derevjannye Koni, 1970 (Chevaux de bois), qui est vue par les yeux admiratifs de sa belle-fille et du narrateur-auteur. Mais, lucide, il donne dans deux de ses meilleurs récits (Pelageja, 1969 ; Al'ka, 1972) les portraits de Pelageia, la mère, paysanne dure[...]
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Écrit par
- Alexis BERELOWITCH : agrégé de l'Université, maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne
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