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TIOUTTCHEV FEDOR IVANOVITCH (1803-1873)

Poète russe dont l'œuvre, peu abondante mais d'une grande densité, exprime, avec une audace que dissimule parfois la forme classique de son vers, une inquiétude existentielle assez étrangère à la critique littéraire de son temps, Tiouttchev ne fut connu et apprécié de son vivant que par une élite de lecteurs. Il a trouvé sa place dans le panthéon de la poésie russe grâce aux symbolistes, qui ont vu en lui l'un de leurs précurseurs.

Classicisme et romantisme

Né à Ovstoug (Ovstug), dans le gouvernement d'Orel (Orël), d'une famille noble peu fortunée, Fiodor Tiouttchev a passé son enfance à la campagne, où il a eu comme précepteur le poète Raïtch (Raič), son aîné de dix ans, traducteur de Virgile, de l'Arioste et du Tasse. Il écrit ses premiers vers à l'âge de dix ans ; il en a quatorze lorsque la Société des amis de la littérature russe auprès de l'université de Moscou l'élit au nombre de ses collaborateurs à la suite de la lecture publique d'un poème imité d'Horace. L'année suivante, il entre à la faculté des lettres de l'université de Moscou, où il obtient en deux ans le grade de candidat. Entré en 1822 au collège (ministère) des Affaires étrangères, il est nommé secrétaire d'ambassade à Munich, où il se lie avec l'élite sociale et intellectuelle de la capitale bavaroise. Il épouse en 1826 une jeune veuve appartenant à l'aristocratie allemande, Eléonore Peterson, née comtesse Botmer, et se lie avec Schelling, dont il subit l'influence, et avec Heine, dont il publie en 1827 la première traduction en russe. Ses propres poèmes commencent à paraître, signés seulement de ses initiales dans les almanachs édités à Saint-Pétersbourg par Raïtch, mais ils passent inaperçus jusqu'en 1836, date à laquelle Pouchkine publie dans deux numéros de sa revue Sovremennik (« Le Contemporain »), sous le titre de Stikhotvorenija, prislannye iz Germanii) (« Poèmes envoyés d'Allemagne »), un cycle de vingt-quatre poèmes également signés de ses seules initiales. Cette publication reste cependant sans lendemain : entre 1838 et 1848, Tiouttchev n'écrit qu'un très petit nombre de poèmes, et son nom demeure ignoré du public russe jusqu'en 1850.

Poète de formation classique, comme Pouchkine, son contemporain, Tiouttchev reste plus longtemps fidèle à un style oratoire issu de l'ode du xviiie siècle, marqué par un vocabulaire « noble », une intonation emphatique, un recours fréquent à la mythologie, une organisation syntaxique rigoureuse et une articulation logique des strophes, souvent fondée sur l'opposition d'une thèse et d'une antithèse, ou sur le parallélisme d'une image et d'une idée. Cependant, son inspiration est romantique : poète de l'amour, Tiouttchev peint celui-ci comme une passion destructrice, comme un défi aux lois du « monde » et de la société ; poète de la nature, il est attiré par le spectacle de l'orage, de la mer houleuse, de la nuit ténébreuse et abyssale, du printemps tumultueux, qu'il déchiffre comme autant de manifestations du chaos originel qui fascine l'homme comme une patrie perdue et qu'il retrouve avec effroi au fond de lui-même ; poète de la condition humaine, il oscille entre un sentiment panthéiste de communion avec la nature et une angoisse pascalienne devant le « silence éternel des espaces infinis », entre le sentiment de l'absurde et celui de la grandeur tragique de la finitude de l'homme.

Déplacé à Turin en août 1837, à la suite d'une passion scandaleuse pour la baronne Ernestine Dörnberg (née Pfeffel) qu'il épouse en 1839, après la mort de sa première femme, il est mis à pied la même année pour abandon de poste et revient vivre à Munich. L'intérêt passionné qu'il porte à l'évolution politique de l'Europe se traduit par deux[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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