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TIOUTTCHEV FEDOR IVANOVITCH (1803-1873)

Réalisme et symbolisme

L'œuvre de Tiouttchev connaît après 1848 un nouvel essor ; il reste fidèle à ses sources d'inspiration et à l'orientation générale de son lyrisme philosophique. Cependant, l'influence de l'esthétique réaliste se fait sentir dans son style, où les archaïsmes deviennent plus rares et plus fréquentes les intonations du langage parlé, tandis que s'assouplit la composition de ses poèmes. Les paysages plus concrets, dépouillés de toute allusion mythologique, suggèrent à présent plus qu'ils n'expriment un arrière-plan symbolique. Les poèmes inspirés par sa liaison avec Hélène Denissieva se distinguent par leur réalisme psychologique et leur intensité dramatique, et débouchent sur une vision tragique de l'amour, « frère jumeau » du suicide, ou « duel fatal » de deux êtres dont l'un est condamné à souffrir, l'autre à détruire.

Le poète reste également fidèle à son nationalisme slavophile qui identifie la Russie à l'orthodoxie et celle-ci à la chrétienté, et attribue ainsi à son pays une vocation universelle. Cependant, la défaite de Crimée lui fait reporter ses espoirs messianiques de la monarchie, qu'il juge désormais très sévèrement, sur le peuple, dont il évoque les souffrances et la « longue patience », signes à ses yeux d'une élection divine.

Malgré un article enthousiaste du poète Nékrassov (Nekrasov), en 1850, malgré la publication, en 1854, d'un volume de ses vers établi par Tourguéniev (Turgenev), qui, dans un article paru la même année, met Tiouttchev « très au-dessus de tous ses contemporains », malgré les comptes rendus élogieux de la critique et l'admiration de la plupart des écrivains contemporains, notamment de Tolstoï (Tolstoj), Tiouttchev est resté de son vivant un poète ignoré du grand public. La célébrité ne lui vient qu'à la fin du siècle, avec les articles et les études de V. Soloviev (Solov'ëv, 1895), puis de D. S. Merejkovski (Merežkovskij), de V. I. Brioussov (Brjusov) et de la plupart des poètes symbolistes. Ceux-ci relèvent l'audace de sa métrique, qui n'hésite pas à enfreindre, pour adapter le rythme à la pensée, les règles élémentaires de la versification, de ses images, qui ignorent les frontières habituelles entre les objets et les notions, et surtout de sa conception de la poésie, qui en fait un moyen d'approcher l'irrationnel et l'inconnaissable, et de sonder, au-delà des catégories de la logique, les abîmes de l'âme humaine et le mystère de l'existence.

— Michel AUCOUTURIER

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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