BEATO FELICE (1825 env. env. 1906)
C'est en 1984 que fut percé le mystère Felice Beato, en partie du moins, car ses dates de naissance et de mort demeurent incertaines. Chantal Edel découvrit en effet dans un numéro du Moniteur de la photographie datant de 1886 l'existence d'un autre Beato, Antonio. Il ne fallait plus désormais associer au nom de famille un double prénom : Antonio Felice, et attribuer ainsi à un même artiste des documents dus en fait à deux frères ayant mené des carrières distinctes.
Felice Beato est né à Venise vers 1825. C'est à Malte qu'il réalise en 1850 ses premières œuvres. Il y rencontre alors un photographe anglais, James Robertson, dont il va devenir l'assistant. Ensemble, ils partent pour la Crimée : Robertson est envoyé par son pays pour couvrir les combats, en remplacement de l'un des pionniers du reportage de guerre, Roger Fenton, tombé malade. C'est dans ces circonstances que Felice va prendre la nationalité anglaise. On retrouve ensuite les deux hommes au Moyen-Orient, opérant de Constantinople à Jérusalem. Antonio les rejoint en Inde, où il va ouvrir vers 1858 un studio avec Robertson. Antonio s'en séparera ensuite pour s'installer à Louxor (1862) puis au Caire (vers 1870). Quant à Felice, il part pour la Chine et suit en 1860 la seconde guerre de l'opium aux côtés de l'armée franco-britannique. La technique photographique encore rudimentaire ne permet d'effectuer les prises de vue qu'après les batailles. Felice manifeste néanmoins dans ses reportages un grand sens de la scénographie, restituant la violence des événements qui viennent de se produire – la succession des différents plans annonce parfois le langage cinématographique. Son instinct de pionnier le mène vers un autre genre, celui du paysage urbain, pour lequel il expérimente des vues panoramiques. À Pékin, il se lie d'amitié avec le dessinateur Charles Wirgman, alors correspondant d'un journal anglais. Il le rejoindra au Japon, en 1863 : ensemble, ils ouvrent un studio à Yokohama et fondent le Japan Punch, premier magazine japonais en langue anglaise. Mais une partie de son œuvre est malheureusement détruite dans un incendie qui ravage la ville en 1866. En 1868 commence l'ère Meiji, synonyme de très grandes transformations pour le Japon : le pays s'ouvre largement au monde extérieur, alors que les différentes dynasties avaient pendant plus de deux siècles interdit le territoire aux étrangers. Ceux-ci s'empressent maintenant de découvrir cette culture restée si longtemps inaccessible ; parmi eux Pierre Loti, ou encore Émile Guimet. Felice Beato réunit peu à peu une inestimable documentation sur le paysage, mais aussi sur la population et les traditions ancestrales du pays. La conception de ses portraits, certes inspirée des estampes populaires, n'est pas sans évoquer le travail que mènera au siècle suivant le photographe allemand August Sander, qui fit l'inventaire des différents types sociaux. Du point de vue technique, les photographies en noir et blanc de Beato sont minutieusement rehaussées à l'aquarelle par Charles Wirgman, puis par des peintres japonais. Felice Beato s'est en effet totalement intégré à la culture du pays. C'est ainsi qu'il destine ses albums non seulement aux voyageurs étrangers, mais aussi au public local. En 1877, Felice Beato vend son fonds à un concurrent, le baron autrichien Raimund von Stillfried. Après un dernier reportage de guerre au Soudan, il abandonne peu à peu la photographie pour se livrer au commerce des objets d'art. On le retrouve en Birmanie où il finit ses jours, vers 1906.
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Écrit par
- Gabriel BAURET : historien et critique de la photographie, chargé de cours à l'université de Paris-X
Classification
Médias