LAMENNAIS FÉLICITÉ DE (1782-1854)
Voir, comme on le fait parfois, dans la rupture de Lamennais avec le catholicisme romain une réaction d'orgueil blessé après la condamnation de Paroles d'un croyant, et tenir sa révolte pour un affrontement purement personnel avec le pape Grégoire XVI, c'est risquer de passer à côté du drame qui s'est joué dans l' Église du xixe siècle et dont « Féli » a été un des principaux acteurs.
Par son œuvre et son action, il a lutté contre la tiédeur de certains catholiques, contre les compromissions du clergé avec le pouvoir temporel, et recherché un idéal chrétien plus pur, plus évangélique.
Le nouveau « Père de l'Église »
Ce petit homme à la mine chétive, malingre, qui souffrit toute sa vie d'une dépression de l'épigastre, est né à Saint-Malo, la ville des corsaires. Très tôt orphelin de mère, il est confié par son père, armateur et négociant, à la garde de son frère Jean et de son oncle Robert des Saudrais ; autodidacte, n'ayant reçu aucune formation dans un séminaire, c'est presque contraint par ses amis ou son directeur de conscience, l'abbé Carron, qu'il accepte de recevoir les ordres mineurs, puis la prêtrise, en 1816. Prenant au sérieux le caractère irrévocable de son engagement sacerdotal, Féli, comme l'appelle son frère, n'a pas cependant la vocation d'un « recteur » de paroisse bretonne, il est plutôt soucieux de trouver dans l'Église une autre place, qui lui convienne mieux : c'est la plume qui lui permet de gagner très vite une gloire qui le plaça au rang de nouveau « Père de l'Église » et peut-être – cela n'a jamais pu être prouvé – lui valut, en 1826, d'être nommé cardinal in petto par Léon XII.
Les deux premiers volumes de l'Essai sur l'indifférence (1817 et 1820) furent accueillis avec enthousiasme : les catholiques, qui n'avaient pas eu de grand polémiste face à Voltaire ou aux encyclopédistes du xviiie siècle, venaient de trouver enfin un héros qui ne répugnait pas au corps à corps, et prétendait prouver que le philosophe individualiste était un être anormal, une sorte d'hérétique au genre humain, puisque hors du sens commun, seul critère de la vérité. Mieux, le christianisme, si vilipendé au xviiie siècle, trouvait, grâce à Lamennais, de nouvelles lettres de noblesse : somme des enrichissements successifs de l'humanité en marche vers Dieu, il a sa source dans la Tradition, antérieure à la rédaction écrite des deux Testaments et dont on trouve des éléments chez les divers peuples païens de l'Antiquité. La réflexion philosophique et morale de l'humanité tout entière contribue ainsi à l'avènement du christianisme, véritable couronnement de l'ensemble : la révélation n'est pas rupture mais accomplissement.
Promouvoir les études théologiques, philosophiques, historiques, linguistiques et permettre ainsi à un clergé éclairé et savant de répondre aux attaques des philosophes et des incrédules et, surtout, de mieux comprendre les exigences du monde où il vit, rétablir l'autorité papale dans une France gallicane, tel fut le but de la Congrégation de Saint-Pierre, qui installa, en 1828, son noviciat à Malestroit en Bretagne et dont Féli fut le fondateur avec son frère Jean et P. Gerbet. Que l'étude de plusieurs langues vivantes y ait été obligatoire, que certains y soient devenus spécialistes de langues orientales (arabe, sanscrit, persan, voire chinois), que d'autres y aient gagné leur vocation de fondateur d'ordre, ou de futur évêque, n'est sans doute pas indifférent à l'évolution ultérieure de l'Église.
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Écrit par
- Louis LE GUILLOU : docteur ès lettres, professeur à la faculté des lettres de Brest
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