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LAMENNAIS FÉLICITÉ DE (1782-1854)

La crise et la condamnation

Sensible déjà lors de sa collaboration aux journaux ultras, Le Conservateur, Le Défenseur, Le Drapeau blanc, lors de la publication de ses ouvrages De la religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil (1826), et Des progrès de la révolution et de la guerre contre l'Église (1829), l'engagement de Lamennais dans l'actualité politique de son temps fait de lui un polémiste virulent, une sorte de prophète inspiré ; il supplie prêtres et évêques de revenir à un christianisme plus authentique, plus charitable, plus pauvre et plus libre ; il invite les catholiques à séparer leur cause de celle de la monarchie et à se joindre au mouvement qui, vers les années 1830, entraîne les peuples vers la conquête de leurs libertés. Dans son journal L'Avenir, à l'épigraphe célèbre : « Dieu et la liberté », il réclame la liberté de religion et de conscience, la séparation de l'Église et de l'État, la liberté d'enseignement, de presse, d'association, l'élargissement du système électoral et la décentralisation. Il apporte aussi son soutien aux Belges et aux Irlandais en lutte pour la conquête de leurs libertés, mais il ne se rend pas encore nettement compte qu'en appelant dans son célèbre Acte d'union du 15 novembre 1831 les catholiques libéraux de France, de Belgique, d'Irlande, de Pologne à une vaste fédération, il prend ouvertement la tête d'un mouvement plus politique que religieux et qu'il apparaît alors comme un révolutionnaire, un exalté, voire un agitateur dangereux et plus du tout comme un prophète.

De l'opposition qu'il rencontre alors, Lamennais s'irrite et, après son second voyage à Rome (le premier datant de 1824), il parle de trahison de la hiérarchie et dénonce l'alliance « honteuse » entre celle-ci et les puissants de cette terre, rois, empereurs. La répression très dure contre la catholique Pologne, soulevée en 1831 pour se libérer de ses maîtres russes, et l'appui indirect donné au tsar Nicolas Ier par Grégoire XVI, dans son bref de juin 1832 aux évêques polonais, bref dans lequel le pape dénonçait la malveillance des agitateurs qui avaient plongé leur patrie dans le malheur et rappelait l'obéissance due aux gouvernements légitimes, firent plus pour précipiter la crise religieuse de Lamennais que les encycliques Mirari vos et Singulari Nos (elles condamnaient, l'une, publiée en 1832, les « excès mennaisiens », l'autre, en 1834, les Paroles d'un croyant). Grégoire XVI, pour Lamennais, semblait approuver la force brute en paraissant s'allier avec Nicolas ; il avait ainsi trahi sa mission : « Il avait divorcé avec le Christ, sauveur du genre humain, pour forniquer avec tous ses bourreaux. » C'est bien de l'« assassinat » de la Pologne et de la prise de position de la hiérarchie sur les libertés européennes que l'on peut dater historiquement le début d'une crise religieuse qui conduisit Lamennais à l'isolement, puis, par fidélité à sa conception de la liberté, à une rupture avec le catholicisme.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à la faculté des lettres de Brest

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