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LAMENNAIS FÉLICITÉ DE (1782-1854)

Le chrétien « déchu »

Les Paroles d'un croyant, en 1834, la préface des Troisièmes Mélanges, en 1835, et les Affaires de Rome, en 1836, ne marquèrent pas pour Lamennais la fin de sa foi chrétienne mais le déclin de son audience. Peu à peu, les membres de l'équipe quittèrent le maître, H. Lacordaire d'abord, essentiellement pour des raisons politiques, puis R. Rohrbacher, P. Gerbet, C. de Montalembert pour ne parler que des plus illustres. Dans sa retraite bretonne de « la Chênaie », près de Dinan, Lamennais resta seul, bien décidé à rester chrétien jusqu'à sa mort, mais en même temps refusant d'approuver par son silence les injustices dont ses frères seraient victimes. Deux thèmes reviennent désormais avec force dans ses derniers ouvrages, Le Livre du peuple (1837), La Religion (1841) et l'Esquisse d'une philosophie (1840-1846), celui de la liberté de la conscience droite qui doit pouvoir, le cas échéant, refuser l'obéissance à une puissance tyrannique, et celui de la loi d'amour : le chrétien n'est pas celui qui accomplit les pratiques extérieures de la religion et demeure cependant fourbe, haineux, envieux, dur et méchant envers son prochain. L'esprit des Évangiles, que traduit et commente Lamennais en 1846, est essentiellement de charité, d'ouverture à autrui, de compréhension mutuelle. Il bannit toute intransigeance, tout dogmatisme, générateurs de persécutions, de violences, de haines.

Destin tragique que celui de cet homme qui eut la pénible tâche de semer – Lacordaire, Victor Hugo, Sainte-Beuve, Montalembert, Rohrbacher, Gerbet, Salinis, Maurice de Guérin, George Sand, Michelet en ont témoigné – mais qui ne connut jamais la joie de moissonner. Parce qu'il était un maître de liberté, refusant à la fois la facilité et l'anarchie, il était fatal qu'il se heurtât aux puissances établies, temporelles ou spirituelles. Homme droit, franc et loyal, il écarta toujours les demi-mesures diplomatiques et condamna l'indécision, la prudence, la timidité. Il voulait vivre un christianisme évangélique et pur, éloigné de la mièvrerie de certains catholiques de son temps, comme des compromissions de nombreux membres de la hiérarchie. Abandonné par ses amis et ses disciples, il refusa néanmoins de renouveler les scissions de Luther et Calvin et de briser davantage cette unité à laquelle il aspirait tant. Sa conscience lui avait fait un devoir de s'opposer à Grégoire XVI ; nul doute qu'il n'en ait mesuré les conséquences : perte de prestige, carrière ruinée, et cette réputation de mauvais aloi qui s'attachait alors à la personne d'un « défroqué ». Mais, comme l'écrit Charles de Montalembert à son frère en 1834 : « S'il avait voulu embrasser le parti des rois et des puissants, il y a longtemps qu'il eût été cardinal comblé d'or et d'honneur. Ayant préféré la cause des pauvres et des opprimés, il s'est lui-même condamné à la misère et à l'abandon général. »

— Louis LE GUILLOU

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  • : docteur ès lettres, professeur à la faculté des lettres de Brest

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