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HERNANDEZ FELISBERTO (1902-1964)

Comme l'a écrit Italo Calvino dans sa préface à l'édition italienne des œuvres du nouvelliste uruguayen, « Felisberto Hernández est un écrivain qui ne ressemble à aucun autre : à aucun des Européens et aucun des Latino-Américains ; c'est un irréductible qui échappe à toute classification et à tout embrigadement, mais qu'on identifie, à coup sûr, dès la première page. » Longtemps, son œuvre a été mal connue, en dehors d'un petit cercle d'initiés qui s'est désormais considérablement élargi et qui a contribué à caractériser Felisberto Hernández – option quelque peu réductrice – comme l'un des maîtres contemporains du contefantastique. Malgré l'anonymat persistant et les difficultés matérielles rencontrées pour se faire éditer, Felisberto Hernández, qui menait parallèlement une carrière de pianiste en Argentine et en Uruguay, a fini par constituer une œuvre originale et, sous une apparence parfois anodine, d'une complexité telle qu'elle a fasciné certains écrivains comme Calvino, mais aussi Julio Cortázar, Carlos Fuentes et Jules Supervielle qui a parlé à son propos de « grand conteur poétique », d'un « écrivain chez qui la poésie, loin de morceler et de retarder le récit par des trouvailles ajoutées, l'alimente naturellement et le fait vivre ».

Selon José Pedro Díaz, qui a largement contribué à faire connaître toute une série de textes que Felisberto Hernández n'avait pas publiés de son vivant, l'œuvre de l'écrivain uruguayen peut se décomposer en trois séquences successives. La première regroupe des œuvres brèves, parues entre 1925 et 1931 sous forme de brochures dans des éditions extrêmement modestes – l'une d'entre elles porte le titre significatif de Libro sin tapas (Livre sans couverture, 1929) –, où Felisberto Hernández revendique une écriture zigzaguante, erratique et sans intention précise, ce qui lui permet d'abolir toute velléité de mimétisme. Composés au hasard de ses tournées à travers le Río de la Plata, ces textes relèvent de l'esthétique du fragment et de la lecture intuitive

Entre 1942 et 1944, Felisberto Hernández, qui délaisse peu à peu la musique, rédige trois grands récits, nourris de souvenirs personnels : Por los tiempos de Clemente Colling (Du temps de Clemente Colling, 1942), El caballo perdido (Le Cheval perdu, 1943) et Tierras de la memoria (Terres de la mémoire, écrit en 1944, mais publié dans son intégralité en 1966, après la mort de Hernández). Dans ces récits, le narrateur doit assumer et transcrire des souvenirs qu'il n'a pas sollicités, qui « insistent » et font pression sur lui ; il constate, impuissant, qu'ils « se détachent des toiles qu'ils ont tissées dans les recoins de l'enfance ». Souvent, une narration seconde naît du regard porté sur ce « théâtre des souvenirs ». À la différence de ce qui se produit chez Proust, l'analyse du courant de conscience n'a pas pour origine un accord avec le monde recréé au niveau de la mémoire, mais au contraire une situation de rupture. D'où la fréquence de mots comme « mystère », « tristesse », « angoisse ». L'origine et la nature des objets n'intéressent pas le narrateur, mais plutôt le rapport de plaisir ou de douleur qu'il entretient avec eux.

Dans un troisième temps, comme l'écrivit le critique Ángel Rama, « son art se perfectionne, son style acquiert souplesse et précision, son univers baigne dans une atmosphère fantasmagorique ». De 1946 à 1948, Felisberto Hernández réside en Europe. C'est en France qu'il écrit ses nouvelles les plus connues, La casa inundada (La Maison inondée), El cocodrilo (Le Crocodile) ou Las Hortensias (Les Hortenses), où un personnage tombe amoureux de mannequins qu'il met en concurrence[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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