FÉMINISME France : du M.L.F. à la parité
Situation du féminisme révolutionnaire au lendemain de Mai-68
Réflexion, ou régression ? Régression, sans doute, à l'aune de la révolution identitaire collective dont le M.L.F. fut porteur, dans ses idées comme dans ses formes d'action. Ce mouvement de réflexion et de pratique, né de la révolte de Mai-68 et baptisé par les médias en 1970, renvoie, au-delà des querelles sur sa date de naissance, à une prise de parole collective des femmes. De l'université de Vincennes aux groupes de prise de conscience, puis à la célèbre « A.G. », qui se réunit à l'école des Beaux-Arts, à Paris, à partir d'octobre 1970, s'exprimait une même volonté pour les femmes d'analyser sans complaisance la spécificité de leur situation et de fixer les moyens tactiques pour les transformer. Ce féminisme révolutionnaire, caractérisé dès 1968 par la non-mixité, a utilisé toutes les formes d'action protestataire contre les institutions et le pouvoir patriarcal – grèves, rencontres, débats publics, actions spectaculaires, manifestations –, et abordé toutes les questions jusque-là taboues : le corps, la sexualité, le viol, l'avortement. Le M.L.F., bien davantage que « prendre le pouvoir », voulut avant tout, et partout, « faire la révolution ».
Dans l'effervescence et la spontanéité du « mouvement » se sont rapidement formées deux conceptions divergentes de l'oppression subie par les femmes et des stratégies politiques à développer pour y mettre fin. L'une repose sur l'affirmation de la différence sexuelle comme principe existentiel, donc politique, et l'autre sur la négation même de cette différence, cette dernière étant considérée comme le prétexte majeur à l'inégalité de traitement.
Le féminisme « de la différence », fut incarné à partir de 1968 par ce qui devint bientôt une des « tendances » du M.L.F., le groupe Psychanalyse et Politique, ou « Psychépo », parce que sa fondatrice, Antoinette Fouque, combinait avec force psychanalyse lacanienne et critique sociale pour penser les termes politiques, économiques et symboliques de la « forclusion » des femmes par la société. Méfiante à l'égard des féministes gauchistes, dont elle redoutait les dérapages médiatiques et le réformisme hâtif, cette tendance privilégiait un travail critique en profondeur sur l'identité des femmes, niée par la société au profit d'une égalité réductrice. Il s'agissait de penser l'altérité des femmes au-delà d'un « humanisme monosexué », et de s'attaquer à l'ordre symbolique d'une société fondée sur l'exclusion du maternel et du matriciel. Cette démarche fut, à partir de 1974, approfondie et affirmée, par la création, à Paris, des Éditions et de la Librairie Des femmes, destinées à promouvoir l'expression de la créativité des femmes dans l'espace public. Elle trouva un écho dans les écrits de Luce Irigaray et surtout d'Hélène Cixous.
À cette tendance, souvent qualifiée de « naturaliste », d'« essentialiste » ou encore de « différentialiste », s'opposait nettement l'autre grand courant du féminisme radical, le féminisme « égalitariste ». Celui-ci s'inscrivait dans l'héritage direct de Simone de Beauvoir et dans une proximité immédiate avec les conceptions et les organisations politiques de l'extrême gauche. Les féministes égalitaristes se refusaient à parler de différence des sexes, de féminin ou même de femme, préférant la notion de « genre », destinée à rendre compte du caractère construit et social de la féminité. Dans cette perspective, ce sont les rapports sociaux, les rôles imposés, et non une prétendue « nature féminine » qui fabriquent la division des sexes et la bipartition des individus. C'est le sens de la formule de Simone de Beauvoir[...]
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Écrit par
- Muriel ROUYER : professeur de science politique
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