FÉMINISME Histoire du féminisme
Égalité et différence des sexes
L'inscription du féminisme dans l'histoire obéit ainsi à un mouvement de pendule : le féminisme est une action collective qui est sans mémoire des luttes et des batailles gagnées, croyant chaque fois à sa naissance première et à son originalité absolue, tandis qu'une étude historique souligne, dans ces manifestations renouvelées, de fortes analogies. Même volonté de mettre les femmes en position de sujets et non pas d'objets de discours ; même critique de leur rôle conjugal et familial ; mêmes demandes sociales et politiques d'égalité ; démarches semblables d'autonomie dans la vie privée et publique ; balancement identique entre le dedans et le dehors des institutions mixtes ; choix commun de la bataille juridique, sur le mode légal ou illégal : tout d'abord, la demande du droit de suffrage, certes, mais aussi celle du divorce, de la recherche en paternité, de la libre disposition par la femme de son salaire ; ensuite, la légalisation de l'avortement et de la contraception, la reconnaissance du viol comme crime, mais aussi l'égalité professionnelle et la représentativité politique.
C'est sur la toile de fond de ces analogies qu'on peut remarquer les différences avec les étapes antérieures. Différence d'abord dans le rapport à la loi : d'une part, les femmes sont entrées, même peu nombreuses, dans les diverses instances du pouvoir social et politique et les hommes ne sont plus les médiateurs obligés de leurs demandes ; d'autre part, la Constitution française a inscrit en 1946, dans ses principes, l'égalité entre les sexes, principe formel peut-être, mais irréversible. Différence aussi dans l'analyse économique : d'une part, le critère de l'indépendance financière joue pour caractériser non seulement l'autonomie sociale de la « travailleuse », mais aussi l'autonomie familiale d'un individu salarié ; d'autre part, le statut même du travail des femmes est pensé dans une globalité où le travail domestique n'est pas séparé du travail social, où la fonction de reproduction n'est pas dissociée du système de production. Différence, enfin, dans la possibilité de parler du corps féminin : d'une part, la question du lien familial (divorce et reconnaissance de paternité) s'insère de façon plus large dans le problème de la libre disposition de son corps (contraception et condamnation du viol) ; d'autre part, le corps lui-même est représenté comme lieu de désirs susceptibles d'une libre expression, d'une libération.
Ainsi a-t-on fait de la vie privée un lieu politique et ce fut même un slogan que de dire « le privé est politique ». Les réactions violentes suscitées par le féminisme tiennent peut-être à cela, à cette confusion difficile à éviter entre le politique et le public. La politisation de la vie privée a mis à mal la distinction entre le privé et le public sans que la frontière entre les deux apparût comme une question théorique. De même, la mise en lumière de la domination masculine et du système patriarcal a eu inéluctablement pour conséquence de produire une analyse unilatérale du pouvoir masculin. En effet, si les hommes se sont établis maîtres des femmes, ce n'est pas toujours sans le consentement de celles-ci. Or ce consentement, en retour, est un lieu propice à un pouvoir féminin qui fait partie de l'asservissement lui-même. Pouvoir du corps – celui de la séduction et celui de la maternité –, qui est aussi un pouvoir social. Le féminisme pouvait-il dénoncer l'oppression des femmes sans refuser d'analyser et de critiquer leur pouvoir propre ?
Sans doute la réflexion théorique qui est née de la pratique militante et qui perdure au-delà de la réalité historique du mouvement des femmes a-t-elle eu pour effet,[...]
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Écrit par
- Geneviève FRAISSE : chargée de recherche au CNRS
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