FEMMES AMOUREUSES, D. H. Lawrence Fiche de lecture
D'abord publié aux États-Unis en 1920, avant de paraître en Angleterre l'année suivante, Femmes amoureuses est le plus ambitieux des romans de D.H. Lawrence (1885-1930). Considéré aujourd'hui comme l'une des œuvres phares du modernisme, avec Ulysse de Joyce et La Terre vaine de T. S. Eliot, parus tous deux en 1922, il fut éreinté par la critique, qui y vit une « étude analytique de la perversion sexuelle ». Achevé dès 1917, alors que D. H. Lawrence séjournait en Cornouailles avec Frieda von Richthofen, le volume devait prendre place dans un ensemble plus vaste, Les Sœurs, qui ne vit jamais le jour. Il partage certains de ses personnages avec L'Arc-en-ciel (1915), qui suivait l'évolution de trois couples, sur trois générations d'une famille du Nottinghamshire.
Quatre personnages en quête d'amour
Ursula et Gudrun Brangwen, qu'on retrouve ici dans la ville minière de Beldover, sont « filles d'Artémis plutôt que d'Hébé », femmes déjà – plutôt que jeunes filles. La première est institutrice, la seconde, qui enseigne le dessin, revient d'un séjour à Londres et se fait mal à l'ambiance étriquée de la province. Au début du livre, elles parlent mariage, comme dans les romans victoriens, mais c'est pour mieux briser la chappe des conventions sociales et littéraires. Ursula aime Rupert Birkin, inspecteur des écoles, qui connaît une relation insatisfaisante avec Hermione Roddice, dont l'intellect hypertrophié fait un personnage cultivé mais déséquilibré. De son côté, Gudrun s'éprend de Gerald Crich, le fils du propriétaire de la mine, qui semble poursuivi par le malheur : après avoir jadis tué son frère par accident, il se considère aujourd'hui responsable de la noyade de sa sœur, Diana. Rupert rompt avec Hermione, espérant vivre avec Ursula une union plus harmonieuse. Il reste cependant farouchement intransigeant quant à son refus d'un amour fusionnel. Bien que désireuse de faire don de son amour à Gerald, Gudrun est victime de ses mauvais démons, et leur liaison, toujours paroxystique, se fait inévitablement destructrice.
Si Lawrence fait de Rupert Birkin son double, en même temps que le porte-parole de ses propres théories – l'anti-intellectualisme, professé par un intellectuel –, il souligne les défauts et les contradictions de ce personnage de pharisien et de prédicateur, tout en souscrivant à son désir d'une union paradoxale, fondée sur « un pur équilibre entre deux êtres solitaires ». Gerald, qui pourrait être l'alter ego masculin d'Hermione, rêve, en nouveau capitaine d'industrie qu'il est devenu à la mort de son père, d'instrumentaliser ses mineurs, en les soumettant à l'empire exacerbé de sa volonté de domination. Une telle perversion des liens humains porte en elle sa sanction : alors que Gerald et Gudrun accompagnent leurs amis en Autriche, pour leur voyage de noces, une liaison se noue entre Gudrun et Loerke, peintre juif. Vaincu par l'appel du néant, Gerald trouve la mort, dans la neige et la glace : « Il était parvenu au bassin de neige, entouré de pentes à pic et de précipices, et d'où montait un sentier conduisant au sommet de la montagne. Il marcha sans savoir, jusqu'à l'instant où il glissa et tomba, et comme il tombait, quelque chose se brisa dans son âme, et immédiatement ce fut le sommeil. »
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Écrit par
- Marc PORÉE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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