FEMMES AMOUREUSES, D. H. Lawrence Fiche de lecture

Un mythe moderne

L'action de ce mythe moderne, aux accents de fatalité pourtant antiques, est surtout intérieure. La psychologie classique est battue en brèche, les personnages se conçoivent plutôt en termes de polarisation entre besoin d'amour et pulsion de mort. Le modernisme de Lawrence trouve là son champ d'application privilégié : le moi « autonome et stable » cède la place à une succession d'états de la conscience, fluctuants et en devenir. Les nombreux passages dialogués de ce roman d'idées servent de champ clos aux affrontements, en permettant l'expression dialectique des thèses en présence. De même, aucun rapport à l'autre, au sein du ménage à quatre que forment les personnages, n'est jamais fixé une fois pour toutes. Entre les dialogues, le récit se développe, à la manière de nappes d'émotions, souvent brutales et cruelles, dans des décors le plus souvent symboliques.

Le roman est placé sous le signe du duel, propre à accroître l'intensité amoureuse : d'homme à homme, de femme à femme, entre « gladiateurs » ou « boxeurs », au propre comme au figuré. L'aliénante soumission à l'autre, voilà ce que récuse Lawrence, qui semble accorder plus de prix à la préservation de l'intégrité personnelle qu'à la nécessaire complémentarité de l'homme et de la femme. La surprenante conclusion qu'il donne à son roman provoque des interrogations. En se disant nostalgique de sa relation avec son ami décédé, Birkin semble préférer à l'amour d'Ursula qui le comble, l'union éternelle avec un homme, la fraternité virile, qu'elle soit ou non de nature homosexuelle. Rarement roman aussi ardent aura fait preuve d'autant de haine, en particulier à l'endroit du matérialisme mécanique, et contre l'Angleterre grise et philistine, dont Lawrence n'attendait plus rien de vital. L'écriture en est superlativement métaphorique : flammes, fleurs, ténèbres, profondeurs, sang, électricité, sont les figures attendues d'un art codé, aisément déchiffrable, mais qui n'en conserve pas moins sa dimension ésotérique et son inaliénable part de primitivité.