FÉNELON FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LA MOTHE- (1651-1715)
Une œuvre très diverse
L'œuvre de Fénelon est extrêmement diverse : il semble incroyable que soient nés de la même plume un ouvrage aussi abstrait que l'Explication des maximes des saints et la grande fresque antiquisante – et baroquisante – du Télémaque ; pour « l'héritier présomptif puis nécessaire de la couronne », le même précepteur a écrit les Fables, les Dialogues des morts, mais aussi des Mémoires politiques ou des essais philosophiques, souvent concurremment.
Ainsi le Traité de l'existence de Dieu (vers 1685) est-il à peu près contemporain des Dialogues sur l'éloquence dans lesquels Fénelon expose sa doctrine de la prédication chrétienne. Les Maximes des saints et le Télémaque sont composés au cours de cette période ambiguë où Fénelon, encore comblé de la faveur royale lorsque s'engagent les pourparlers avec Bossuet – connus sous le nom de conférences d'Issy (juillet 1694-mars 1695) – va bientôt être éloigné de la cour par ordre du monarque en août 1697. Parallèlement, il a rédigé le Traité de l'éducation des filles à la demande de l'une des filles de Colbert, la duchesse de Beauvilliers et, à l'intention de Mme de Maintenon ou de nombreuses dirigées, de multiples Lettres de direction. Élu à l'Académie française en 1693, il reprend vingt ans plus tard en les développant certains des thèmes de son Discours de réception dans cette Lettre sur les occupations de l'Académie française qui est comme la somme esthétique de ses réflexions de fin humaniste.
Mais, aussi peu homme de lettres qu'il est possible, il s'intéresse au premier chef à la situation politique dont il a signalé les failles dès la Lettre à Louis XIV et consacre à la lutte antijanséniste de nombreux Écrits de controverse.
Indépendamment donc de la querelle du quiétisme qui a naturellement favorisé l'éclosion de diverses lettres et mandements, l'œuvre de Fénelon s'organise spontanément en un riche foisonnement autour de centres d'intérêt dont un seul eût suffit à épuiser la curiosité d'un autre génie : théologie, mystique, littérature et beaux-arts, problème de l'éducation, politique intérieure et internationale, autant de domaines où il a laissé sa marque ; et, pourtant, il n'est rien de protéiforme dans sa production.
Le mystique
En un siècle marqué par l'augustinisme, la pensée de l'archevêque de Cambrai s'est orientée vers l'approfondissement de la notion d'être et s'est efforcée, en une hantise pathétique d'anéantissement, de dépasser la limite du « moi », mettant ainsi en cause le concept même d'« individu ». Relativement peu centrée sur le mystère de l'incarnation, cette spiritualité, tout en maintenant le dualisme du créateur et de la créature, propose formellement à l'homme comme terme et but de son pèlerinage terrestre la « déification » : « C'est par l'anéantissement de mon être propre et borné que j'entrerai dans votre immensité divine. »
Le pur amour est en fait synonyme de mort à nous-même et d'« adhérence » à la volonté de Dieu au-delà de tout retour réflexif sur notre intérêt temporel ou éternel. Mieux, il est l'amour dont Dieu s'aime en l'homme, créature faite à son image : « Ô mon amour qui êtes mon Dieu, aimez-vous, glorifiez-vous vous-même en moi. Ma paix, ma joie, ma vie sont en vous qui êtes mon but, et je ne suis plus rien. » Ce dépouillement dans la foi s'inscrit dans la tradition qui, de l'Aréopagite aux mystiques rhénans ou espagnols, envisage le destin de l'homme comme un retour par intériorisation à son principe, à ce Dieu inscrit dans son cœur, au-delà de toute représentation conceptuelle.
Plus sensible à l'opposition de la concupiscence et de la grâce et[...]
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Écrit par
- Jeanne-Lydie GORÉ-CARACCIO : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne, responsable du centre international de francophonie de l'université de Paris-IV
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