FENICE DE VENISE
C'est à Venise, il ne faut jamais l'oublier, que s'est ouvert en 1637 le premier théâtre d'opéra payant, le San Cassiano, un théâtre ouvert au peuple et non plus seulement réservé à l'aristocratie, qui assistait aux représentations dans le secret de ses palais. Venise a très vite eu le goût de l'art lyrique et, en 1630, un premier opéra véritable y est représenté, au palais Mocenigo Dandolo (aujourd'hui hôtel Danieli) : Proserpina rapita de Monteverdi. L'engouement des Vénitiens allait très vite entraîner l'ouverture de nombreuses autres salles : au xviie siècle, on a compté jusqu'à douze théâtres d'opéra qui fonctionnaient en même temps ! C'est dire la passion des Vénitiens pour cet art nouveau.
À la suite de l'incendie d'un des deux plus grands de ces théâtres d'opéra, le San Benedetto, en 1773, fut décidée la construction de La Fenice : son nom symbolique (le phénix, l'oiseau qui renaît de ses cendres) fut choisi en conséquence. La nobile societa, c'est-à-dire la bonne société de Venise, voulait disposer d'un théâtre qui fût le plus beau d'Europe et qui lui permît de se regarder dans le miroir de sa magnificence ; elle lança donc un concours que remporta Gian Antonio Selva, devant vingt-huit autres candidats, avec un projet néo-classique : le théâtre est ouvert, d'une part, sur le campo – c'est la façade principale, flanquée des deux statues de Melpomène et de Terpsichore, réalisées par Giovanni Ferrari –, d'autre part, sur un canal creusé par l'architecte afin de permettre aux spectateurs un accès direct, en gondole, à l'arrière-scène, par un portique à cinq arches posé sur un petit quai surmonté d'une marquise.
Mais ce qui frappe d'emblée le public lors de son inauguration, le 16 mai 1792, plus encore que l'opéra qu'on y donne ce jour-là, I Giuochi d'Agrigento de Giovanni Paisiello, c'est la décoration intérieure, signée de Francesco Fontanesi : une pure merveille, qui enflammera d'ailleurs longtemps l'imagination des poètes, des écrivains, des musiciens... et du public. Tout éblouit dans cette salle, qui baigne dans une lumière mordorée que répercutent les appliques et le lustre délicat. Le plafond en tonnelle fait alterner les bleus doux et les stucs dorés. Le rideau de velours bleu nuit, broché au fil d'or, est surmonté d'une petite statue représentant un oiseau aux ailes déployées : le phénix. Et l'atmosphère respire comme une intimité propre aux confidences et aux secrets, sans doute du fait de ce bleu tendre, moins voyant que la pourpre en usage dans la plupart des théâtres. Cent soixante-dix loges, toutes identiques, s'y étagent, sans loge d'honneur. Celle-ci n'apparaîtra qu'en 1808, au lendemain de la visite de Napoléon. Détruite avec tout le théâtre par le terrible incendie de 1836, elle sera reconstruite à l'identique pour la nouvelle inauguration de 1837... mais sera à nouveau détruite lors de l'insurrection de 1848... pour être reconstruite, toujours à l'identique, un an après, sur ordre des Autrichiens !
Quant au poulailler, il ne sera créé qu'en 1838, lors de la reconstruction du théâtre, réalisée en une année seulement par les frères Tommaso et Gianbattista Meduna, d'après les plans initiaux de Selva. La décoration intérieure de Fontanesi sera elle aussi conservée, avec cette dominante bleue qui en fait l'un des plus beaux théâtres du monde. Le phénix encore une fois renaît de ses cendres. Si la salle, d'une capacité de mille cinq cents places, dont huit cent cinquante au parterre, bénéficie d'un confort accru, la machinerie de la scène, améliorée une première fois en 1878 par Lodovico Cadorin, ne sera vraiment modernisée qu'après l'époque mussolinienne, avec en particulier l'adjonction d'une[...]
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Écrit par
- Alain DUAULT : licence de lettres et sciences humaines, maîtrise de lettres modernes, concepteur et présentateur des émissions musicales classiques de France-3 et R.T.L.
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