FÉODALITÉ
La féodalité tardive
À vrai dire, certains des usages implantés à l'époque de la féodalité triomphante devaient se maintenir pendant de longs siècles. Et d'abord les cadres juridiques qui s'étaient construits autour du lien d'homme à homme. En France, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, on vit des individus s'agenouiller devant un personnage que, par les gestes de l'hommage et par les paroles de la foi, ils reconnaissaient pour leur seigneur et dont ils s'avouaient les vassaux. La concession féodale demeura dans la pratique un mode très répandu d'aménagement des relations foncières, autour duquel s'était développée toute une jurisprudence, le domaine de juristes spécialisés, les feudistes. Les meilleurs traités de droit féodal datent du xviiie siècle. Comme d'autre part, dans le domaine de l'économie et de la fiscalité, le premier essor du capitalisme n'avait guère modifié, dans un monde qui restait pour une très grande part rural, les mécanismes de l'exploitation seigneuriale, ce qui subsistait encore des cadres juridiques de la féodalité apparut comme le symbole éminent de la ségrégation sociale et de tous les privilèges. Pour détruire ceux-ci, les révolutionnaires abolirent ce qu'ils appelaient les droits féodaux, c'est-à-dire un ensemble complexe de prérogatives qui relevaient en réalité bien davantage de la seigneurie que du fief.
Quant à l'esprit de la féodalité, turbulence politique appuyée sur des clientèles et sur le rassemblement d'hommes de guerre autour de puissances privées aspirant à l'autonomie, les affaiblissements de l'autorité monarchique lui redonnaient périodiquement vigueur. Ainsi, dans l'Angleterre des xive et xve siècles se développa ce que les historiens de ce pays nomment la féodalité bâtarde (bastardfeudalism) : les plus grands barons s'accoutumèrent à retenir auprès d'eux, dans leur « livrée », des chevaliers dont ils soldaient les services par des « fiefs-rentes », c'est-à-dire par le versement régulier d'une pension en numéraire ; ces bandes les soutinrent efficacement dans leurs rébellions contre le pouvoir royal.
Les restes les plus tenaces persistent dans les attitudes mentales. Certains mots, « hommages », « cour », ont perdu de notre temps tout leur sens primitif ; mais la valeur encore accordée à l'activité et aux qualités militaires, par exemple, ou la notion d'honneur peuvent être tenues pour des survivances attardées de l'univers psychologique qui a pris corps dans l'Europe médiévale autour de la vassalité et du fief.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Georges DUBY : de l'Académie française
Classification
Autres références
-
ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne médiévale
- Écrit par Pierre-Roger GAUSSIN
- 14 136 mots
- 7 médias
...comtal. Celui-ci devint héréditaire, ce qui contribua rapidement à ruiner la monarchie carolingienne en France. Si les grandes lignes des institutions féodales se trouvaient dégagées en France dès la seconde moitié du ixe siècle, il n'en fut pas de même en Allemagne, où leur pénétration fut d'ailleurs... -
ANCIEN RÉGIME
- Écrit par Jean MEYER
- 19 103 mots
- 3 médias
...d'autant plus insupportable que les circonstances s'y prêtent moins. Les mots sont, on le sait, trompeurs. Les révolutionnaires ont voulu détruire la féodalité : ils voulaient dire seigneurie. Car la féodalité au sens propre du mot n'a plus guère d'importance en France. On peut certes en trouver des... -
ANGEVIN EMPIRE
- Écrit par Roland MARX
- 1 510 mots
- 4 médias
De 1154 au début du xiiie siècle, sous l'égide des rois d' Angleterre issus de la maison d' Anjou, un « empire », fait en réalité de la juxtaposition de terres de pleine souveraineté et de fiefs tenus de princes étrangers, paraît dominer l'ouest de l'Europe. Ce ...
-
AUBAIN
- Écrit par Jean GAUDEMET
- 433 mots
Terme qui, dans l'ancien droit français, désigne l'étranger. Dans le morcellement politique du premier âge féodal, l'aubain était non seulement l'étranger au royaume, mais même à la seigneurie : ceux qui venaient du dehors s'établir dans une seigneurie devaient dans l'an et jour s'avouer l'homme...
- Afficher les 57 références