CHEVAL FERDINAND (1836-1924)
Né à Charmes, dans la Drôme. Facteur rural à Hauterives, Ferdinand Cheval dispose d'un petit bagage de connaissances géographiques, historiques et scientifiques. Fonctionnaire sans reproche, il semble avoir été également bon époux et bon père. Il est donc voué manifestement, en dépit de son nom de centaure postal, à l'une de ces existences sans histoire que chaque époque reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires. Mais il advient un jour qu'il rêve d'un étrange palais. Et voilà sa vie bouleversée ; voilà le personnage qui sort de l'ombre des existences anonymes pour se muer en un héraut du merveilleux, car il n'aura de cesse qu'il n'ait inséré l'image onirique dans l'espace visible, qu'il ne l'ait inscrite au cœur même du réel.
Il se met aussitôt au travail. Le travail, c'est, d'abord, « le grand charroi » : de la campagne environnante, il amène à pied d'œuvre, dans sa brouette, galets et fragments de rocher qui lui serviront de matériau. Puis il s'attaque à la construction : de 1879 à 1912, il bâtira, tout seul, un palais de vingt-cinq mètres de long, de douze mètres de large et de quatorze mètres de haut : « 10 000 journées, 93 000 heures, 33 ans d'épreuves ».
Aucun doute sur l'impulsion initiale : Cheval a obéi à l'injonction du rêve. Mais, sans vouloir méconnaître la part décisive et première du « donné » onirique, il est permis de penser que Cheval tend à minimiser, avec une intention didactique pourtant évidente, toute la part volontaire et consciente de sa création. Le « palais idéal », « rocher », « temple », forêt (et « forêt de symboles ») est aussi, de toute évidence, un livre. Encyclopédiste à sa manière, Cheval a voulu y rassembler ce qu'ingénument il imagine être la somme des connaissances humaines.
Rêve matérialisé, « rocher », palais oriental, pavillon d'exposition universelle, « temple », forêt, encyclopédie pétrifiée, l'étrange monument d'Hauterives est aussi et avant tout un tombeau. Ferdinand Cheval n'hésite pas à se comparer aux pharaons antiques, et la construction du « palais » fut, pour lui comme pour eux, l'acte triomphal par lequel il niait le temps et entrait, vivant encore, dans l'éternité de la mort. Cette destination funèbre explique, sans doute, que le palais ne soit en aucune façon habitable : on peut circuler dans ses profondeurs en longeant des couloirs obscurs, on peut même monter jusqu'à son sommet par « des sentiers amusants ». Mais nulle pièce n'invite à l'installation et au séjour, du moins à celui des vivants ; car l'emplacement du tombeau nous est désigné et, dans la chapelle funéraire, les urnes pieuses attendent. Un refus administratif obligera Ferdinand Cheval à se construire, au cimetière d'Hauterives, un autre monument funéraire de proportions beaucoup plus modestes, mais qui porte l'esthétique involontairement baroque du palais à son paroxysme.
Le palais du facteur Cheval est aussi, à sa façon, un journal intime : le lent travail du temps s'y inscrit dans l'espace, avec ses jours de tempête et de bonace, ses états de grâce et ses moments de torpeur. La personnalité de Cheval s'y révèle à chaque instant, à travers le texte de pierre beaucoup plus qu'à travers le texte des inscriptions (car le vers, traditionnel, charrie trop souvent des maximes aussi pompeuses que plates). On peut y lire un rêve d'amour et un rêve d'orgueil. L'insistance même avec laquelle Cheval proclame la fierté que lui inspirent ses origines rurales trahit un complexe d'infériorité qui trouvera dans l'édification du « chef-d'œuvre » (selon le sens traditionnel de l'artisanat) sa compensation éclatante. Rêve de gloire et de puissance, mais aussi rêve érotique : impossible d'imaginer, en matière d'architecture,[...]
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Écrit par
- Pierre ROBIN : maître assistant à l'université de Provence
Classification
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FRANCE (Arts et culture) - Le patrimoine
- Écrit par Nathalie HEINICH
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