SAUSSURE FERDINAND DE (1857-1913)
Il serait inexact de dire de Saussure qu'il est le fondateur de la linguistique scientifique contemporaine. L'enseignement qu'il a donné à l'université de Genève se plaçait en effet d'emblée, par sa nouveauté et sa rigueur, à un niveau que ses auditeurs n'avaient pas atteint, et il a fallu maturation et fécondation pour que s'en dégage la linguistique fonctionnelle et structurale d'aujourd'hui. Si Saussure n'a pas écrit lui-même le livre qui devait assurer sa survie, et si l'on relève dans sa correspondance des signes de découragement, c'est sans doute qu'il avait aperçu l'ampleur de la révolution nécessaire pour fonder la linguistique générale et l'impossibilité pour un seul homme, si génial fût-il, de la réaliser. L'influence exercée par la pensée saussurienne sur la linguistique et, par extension, sur les autres sciences de l'homme, a été si profonde qu'une ligne de clivage nette sépare les pays et les domaines où elle fait partie des fondements de la recherche de ceux qu'elle n'a atteint que tardivement et indirectement.
Un enseignement créateur
Ferdinand de Saussure naît à Genève d'une vieille famille patricienne, illustrée par une lignée de savants, physiciens, chimistes ou naturalistes. D'une remarquable précocité, il anticipe, dès le gymnase, une découverte qui sera, beaucoup plus tard, un des plus beaux titres de gloire de K. Brugmann. Après un an d'études à l'université de sa ville natale, en 1876, à peine âgé de dix-neuf ans, il se rend à Leipzig, où la remarquable équipe des Junggrammatiker était en train de renouveler les études de grammaire comparée. Il y achève, à vingt-deux ans, un mémoire qui lui assure la notoriété et excite quelques jalousies. En 1880, il se rend à Paris où, dès l'année suivante, on lui confie, à l'École des hautes études, une conférence de grammaire comparée. Il comptera, parmi ses auditeurs, beaucoup de ceux qui seront les maîtres de la génération suivante. Il rentre à Genève en 1891 pour y assurer un enseignement de linguistique comparée des langues indo-européennes. À trois reprises, en 1907, 1908-1909 et 1910-1911, il donnera les cours de linguistique générale qui fondent sa renommée.
Le Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (1879) du jeune comparatiste dégage ce qui va être reconnu comme le système vocalique de l'indo-européen commun, et, en posant l'existence d'un « coefficient sonantique » disparu par allongement de la voyelle précédente, il ouvre la voie à ce qui deviendra, plus tard, la théorie des « laryngales ». Pour la première fois, la reconstruction se fait « algébrique » en opérant, non plus avec des sons, mais avec des grandeurs oppositives et relationnelles.
Le Cours de linguistique générale (1916) qui est, avec le Mémoire, le seul ouvrage de quelque ampleur publié sous son nom, est une synthèse réalisée par deux collègues, C. Bally et A. Séchehaye, à partir de notes de cours. On a critiqué la conception même de l'ouvrage : l'opération de synthèse supprime la dynamique d'un enseignement qui, de deux ans en deux ans, n'a pas manqué d'évoluer. Cette dynamique nous est restituée dans les Sources manuscrites de R. Godel et l'édition critique du Cours par R. Engler. Ces ouvrages précieux sont venus à leur heure. Mais le parti choisi par les rédacteurs du Cours était le meilleur en ce qu'une présentation moins élaguée aurait rendu plus difficile l'accès à une pensée si neuve.
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Écrit par
- André MARTINET : professeur honoraire à l'université de Paris-V-René-Descartes, directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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