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CROMMELYNCK FERNAND (1885-1970)

Auteur dramatique belge. Né et mort en France, d'ascendance à la fois belge, bourguignonne et savoyarde, Fernand Crommelynck s'avère un authentique Flamand d'expression française, tout comme Verhaeren qui le « découvrit » et Maeterlinck dont s'inspira sa première pièce, Nous n'irons plus au bois (1906). En montant au théâtre du Gymnase (Paris, 1911) sa deuxième œuvre, Le Sculpteur de masques (1908), Armand Bour, qui appelait cela du « théâtre impressif », se serait souvenu dans la mise en scène des toiles de James Ensor. La signification pirandellienne du masque jointe à la libération de l'inconscient, au paroxysme du carnaval dans une cité de province qui somnole entre la place du marché et son béguinage, témoigne de cet alliage entre le réalisme et le fantastique qui constitue le fond même de Crommelynck et le rend proche de son compatriote Michel de Ghelderode.

Cependant, ce n'est qu'en 1920, avec la présentation à Paris, au théâtre de l'Œuvre sous la direction de Lugné-Poe, du Cocu magnifique, que Crommelynck se révéla et acquit la renommée internationale qu'il a gardée. Si le « magnifique » du titre infléchit déjà le thème éculé de la farce ou du vaudeville dans le sens de l'hénaurme, la pièce fait basculer le comique traditionnel dans l'absurde, où l'angoisse étreint le rire et y insuffle le tragique. On y retrouve l'ambiance du Misanthrope, la drôlerie contrapuntique de Shakespeare, la bouffonnerie propre au théâtre élisabéthain. Sans doute l'action fait-elle éclater les normes conventionnelles : pour se prouver qu'il est trompé, un mari jaloux voue sa femme d'abord à son meilleur ami, puis à tout le village avant de se glisser lui-même, déguisé, parmi les séducteurs. Sans arriver pour autant à faire la lumière à laquelle il aspire, même quand son épouse lassée le quitte pour suivre le premier venu. Mais c'est le style qui donne le ton et confère à l'œuvre son originalité : truculent autant qu'irréaliste, intensément lyrique pour un sujet qui l'est d'habitude si peu. La violence des images, les situations extrêmes, le grossissement burlesque des sentiments rendu par un baroquisme déchaîné transforment le vaudeville « en la farce tragique d'un Othello qui serait son propre Iago » (Ulrich Seelmann-Eggebert). Meyerhold y trouva matière à une mise en scène explosive inspirée des formes chinoises et japonaises où l'emporte l'expression corporelle. Joué dans le monde entier, transposé au cinéma avec Jean-Louis Barrault dans le rôle principal, Le Cocu magnifique est le chef-d'œuvre de Crommelynck, mais c'est aussi sa seule pièce qui s'impose et demeure au programme. On retrouve cependant dans Tripes d'or (monté par Jouvet en 1926) la même puissance d'expression ; le grotesque presque insoutenable qu'y atteint l'avarice en fait un monstre à la Jérôme Bosch, où se confirme le tempérament visionnaire de l'auteur.

Les autres œuvres, malgré les mises en scène souvent brillantes, notamment de Gaston Baty et de Tania Balachova, sans être médiocres, paraissent mineures. Les Amants puérils (1921), Carine ou la jeune fille folle de son âme (1929), Une femme qui a le cœur trop petit ainsi que Chaud et froid ou l'idée de monsieur Dom (1934) présentent les jeux du cœur avec le même pessimisme écorché qui caractérise Le Cocu magnifique. Comme l'a remarqué Suzanne Lilar, dans chaque pièce de Crommelynck, il y a un amour assassiné.

— Hubert HARDT

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  • BELGIQUE - Lettres françaises

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