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OURY FERNAND (1920-1998)

Aux sources de la pédagogie institutionnelle

Une question préoccupe encore Fernand Oury : Freinet est à la campagne, comment faire de la pédagogie active en ville, dans la « jungle urbaine » en plein développement ? Oury a déjà eu des expériences « de terrain » décisives. En 1949, dans une colonie de vacances d'adolescents ; en 1952 en colonie maternelle ; et en 1953 en institut médico-éducatif, à Herbault. C'est là qu'il « invente » le conseil, et les « ceintures » de comportement – à l'imitation du judo. Les « colonies » sont déterminantes pour Fernand Oury.

En fait, l'idée est simple et éducatrice : c'est en prenant l'avis de toutes et tous que l'on progresse dans la vie quotidienne en groupe, en institution ; c'est en discutant des comportements et en les repérant, en les accompagnant, que l'insécurité devant l'agressivité se banalise et s'éduque. Un enfant de trois ans qui ne noue pas ses lacets peut-il traverser seul la rue ? Sa « petite » compétence autorise un statut, et une protection, un « tutorat » institutionnel.

Car cet instituteur, comme beaucoup d'autres enseignants, éducateurs, chercheurs, engagés dans la spirale politique scolaire de l'après-guerre, sait très bien qu'il ne s'agit pas de s'endormir avec le retour de la croissance économique, qui mettra l'éducation à rude épreuve. Ses expériences de 1939 et de 1945 sont prégnantes. Les dix années suivantes le verront installer les techniques Freinet dans une classe de ville, en « milieu urbain ». Il est très proche de ce qui est en 1952 désigné comme la « psychothérapie institutionnelle », et de ses fondamentaux « politiques » : la psychanalyse et la place du sujet (« apprenant » et maître), la dynamique des groupes et la psychologie sociale. Ces deux dimensions de la pratique des institutions sont « les deux jambes », disait Tosquelles, du quotidien du sujet et du groupe institutionnels. Freud, Lewin, Freinet – Marx n'étant pas loin – sont ainsi les trois références combinées par Fernand Oury dans les années 1960.

Ses aphorismes et maîtres mots « affichés » constituent en eux-mêmes des mémentos enseignants : « Ne rien dire que nous n'ayons fait » ; « On n'enseigne que ce que l'on sait faire, et comme on l'a appris », « La parole ne se donne pas, elle se prend », « Des lieux, des limites, des lois, c'est la possibilité du langage et de l'éducation », « Se taire pour mieux entendre »...

Ce que Fernand Oury s'applique alors à inventer, c'est une pédagogie active qui tienne compte des sciences humaines, et de l'inconscient. En 1958, au congrès Freinet de Paris, Jean Oury l'appelle « pédagogie institutionnelle », par analogie avec la psychothérapie institutionnelle. Aïda Vasquez, jeune psychologue vénézuélienne, qui observe ces classes « institutionnalisées », où le conseil de coopérative, le texte libre, la correspondance, les métiers, sont « entrés en analyse », joue un rôle essentiel dans la publication et la diffusion de la nouvelle approche. Elle soutient une thèse en 1966, sous la direction de Juliette Favez Boutonnier, qui sera le fil conducteur des deux premiers livres, Vers une pédagogie institutionnelle et De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle.

Les concepts psychanalytiques « prennent de la pratique » en classe. Comme le résume Francis Imbert, ils ne font pas de la classe autre chose qu'un lieu pour apprendre, mais ils la servent pour apprendre mieux. Les premiers groupes « pistes » se diviseront sur la question de la psychanalyse, tout comme le mouvement Freinet. Et Raymond Fonvieille et quelques autres instituteurs resteront sur une pédagogie autogestionnaire et conseilliste, mais sans la sensibilité psychanalytique des praticiens[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités en sciences de l'éducation à l'université de Paris-X-Nanterre

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