LOCARNO FESTIVAL DE

Locarno est une petite ville de plus de quinze mille habitants située dans le Tessin, en Suisse italophone. À l’instar de Cannes ou Venise, sa splendide position sur les bords du lac Majeur, à une centaine de kilomètres au nord de Milan, est un argument de poids pour y attirer chaque été le public et les professionnels du cinéma, depuis soixante-dix ans.

Du Grand Hôtel à la Piazza Grande

La première édition commence en août 1946, un mois avant le début du premier festival de Cannes. Le festival de Venise a été inauguré en 1932, celui de Berlin naîtra en 1951. Ces quatre manifestations sont aujourd’hui les premières en Europe. Avant même que l’on considère la qualité des films présentés, un festival de cinéma doit être pensé en termes d’accueil. L’édition de 1946 proposait ainsi des projections en plein air dans le jardin du Grand Hôtel, devant près de 2 000 spectateurs. La sélection de cette même année était assez clairvoyante, puisqu’on y note la présence d’Ivan le Terrible d’Eisenstein, de Rome ville ouverte de Rossellini et d’Assurance sur la mort de Billy Wilder. Après la sélection de Paisà l’année suivante, Rossellini reçoit enfin le grand prix à Locarno pour Allemagne année zéro, tandis que le prixspécialdujury est attribué àVittorio De Sica pour le Voleur de bicyclette. Au cours des années suivantes, Locarno accueille Marlene Dietrich et Josef von Sternberg (1960), découvre Stanley Kubrick (1959), Marco Bellocchio (1962), Mike Leigh et Ken Loach (1972), Spike Lee (1982), Jim Jarmusch (1984). Récemment, l’Iranien Jafar Panahi (1997), le Français Jean-Claude Brisseau (2012), le Philippin Lav Diaz (2014), le Coréen Hong Sang-soo (2015) sont honorés par un festival toujours aussi lucide.

C’est en 1971 que, sur les plans de l’architecte Livio Vacchini, est conçu un écran géant monté sur des structures tubulaires et disposé à l’extrémité orientale de la Piazza Grande de Locarno. Cet écran mesure aujourd’hui 26 mètres de large sur 14 de hauteur, ce qui en fait l’un des plus grands au monde. Alors que partout ailleurs les séances en plein air se tiennent le plus souvent sur des esplanades où l’on s’installe comme pour un pique-nique, ce sont huit mille chaises qui sont disposées chaque soir sur la place, avec, à chaque fois, l’espérance que la pluie d’été n’obligera pas le public à se replier vers une plus modeste salle couverte. Les réalisateurs, comédiens ou producteurs, venus présenter leurs films sur la scène montée devant cet écran, témoignent unanimement de l’émotion qu’ils ressentent devant cette exceptionnelle assemblée de spectateurs, au cœur de la belle place asymétrique plongée dans la nuit. Avant les séances, des opérateurs filment assez longuement la foule. Le jeu favori des spectateurs consiste à découvrir leur propre visage en direct et en (très) gros plan sur cet immense écran, visage saisi au hasard de ces prises de vue orientées vers le public.