ANGOULÊME FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA BANDE DESSINÉE D'
Les vicissitudes du succès
Contrairement aux apparences, l’organisation de la manifestation a donné lieu à une suite presque ininterrompue de conflits internes, où ont leur part les ambitions personnelles, les rivalités politiques, les différends entre des collectivités locales, les sponsors indispensables mais exigeants…
À plusieurs reprises, l’existence même du festival a paru remise en cause, comme lorsqu’en 1989 son ex-directeur, Pierre Pascal, las du manque de crédits, fonde à Grenoble un festival concurrent, qui ne connaît que deux éditions. L’année 1989 est d’autant plus cruciale que le nouveau maire d’Angoulême, Georges Chavanes, déclare la ville en cessation de paiement et porte plainte contre son prédécesseur, Jean-Michel Boucheron. Dans cette période d’incertitudes, le salon bénéficie de l’aide de l’enseigne de grande distribution Leclerc, qui lors des premières années de leur partenariat (1992-2007) joue un rôle essentiel dans sa survie. La gestion financière du festival a toujours été complexe, houleuse et assez opaque. En 2021, la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine a dénoncé des « pratiques douteuses et onéreuses » de la société 9e Art +, qui depuis 2008 est chargée par l’association du FIBD d’Angoulême d’organiser la manifestation.
De grands éditeurs ont parfois boudé le FIBD, mécontents du peu de considération dans laquelle il semblait les tenir : au fil des années, les prix ont été de plus en plus souvent attribués à des romans graphiques publiés par de petites structures éditoriales, et non à leurs albums, davantage susceptibles de plaire à un vaste public. Ces prix, baptisés successivement « Alfred » (1981-1988), « Alph-Art » (1989-2003) et « Fauve » (depuis 2008) ont toujours fait l’objet de débats passionnés entre tenants d’une bande dessinée classique et partisans d’œuvres que l’on pourrait qualifier d’art et d’essai.
Quant au grand prix, attribué à un auteur pour l’ensemble de sa carrière, il est d’abord décerné par un jury composé des précédents lauréats (1989-2012), puis de tous les auteurs professionnels, qui votent à partir de deux présélections établies par les organisateurs. Le décompte des voix n’est pas communiqué : là aussi, une certaine opacité règne. Les auteurs ont souvent fait part de leur mécontentement, dénonçant aussi, en 2016, le sexisme des sélections. Cette protestation a été entendue : dans les années 2019-2024, le grand prix est à trois reprises décerné à une auteure, contre deux fois seulement dans la période 1974-2018. En 2023, devant l’ampleur de la polémique autour de la participation de Bastien Vivès, que des associations féministes accusent de dessiner avec complaisance des scènes de pédopornographie, les organisateurs du festival annulent l’exposition qui devait lui être consacrée.
Par ailleurs, le succès du FIBD a pour conséquence de susciter à Angoulême la création de divers organismes plus ou moins liés à la bande dessinée et, contrairement au festival, actifs toute l’année. Les principaux sont, depuis 1997, le Pôle image Magelis et le Centre national de la bande dessinée et de l’image (CNBDI), né en 1990 et rebaptisé, dès 2008, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBDI). Le Pôle image Magelis regroupe en 2024 environ deux mille étudiants, qui suivent les cours de quinze écoles proposant des formations dans le domaine de l’image (bandes dessinées, jeux vidéo, cinéma d’animation, etc.). Le lieu le plus emblématique de la CIBDI est sans doute le musée de la Bande dessinée, dont les collections sont riches de plus de 20 000 planches originales.
Entre la CIBDI, établissement public, et le FIBD, jaloux de son indépendance, les relations ont rarement été bonnes. Le public n'est pas conscient de cette rivalité et ignore même que ce qui lui est proposé lors[...]
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Écrit par
- Dominique PETITFAUX : historien de la bande dessinée
Classification
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