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FÊTE

Vers une définition des fêtes

La fête, genre mixte

Les fêtes évoquées ci-dessus oscillaient entre deux pôles, la cérémonie et la festivité. Pour certaines d'entre elles, c'est l'ampleur du rituel qui les distingue des rites quotidiens. Pour d'autres, c'est la densité de la festivité qui tranche sur le banal divertissement. Le divertissement n'est pas essentiel à la cérémonie en général et, vice versa, les fêtes, qui se situent entre la cérémonie pure et le simple divertissement, semblent bien ressortir à un genre mixte. C'est ce à quoi Durkheim était sensible chez les Australiens Warramunga, qui connaissent tous les degrés de la fête.

À vrai dire, les deux éléments ne sont pas sans affinité. Durkheim insiste sur l'aspect récréatif de la religion. La cérémonie est pour une part spectacle. Et J. Duvignaud, dans sa Sociologie du théâtre, a montré que les mystères étaient issus de para- liturgies se déroulant précédemment dans l'église, en sorte qu'avec la représentation sur le parvis on allait de la cérémonie spectaculaire au spectacle rituel. De même, comment ne pas tenir compte du faste de la liturgie des fêtes pontificales ? La liturgie est déjà spectacle, pour ne pas dire divertissement. Lorsqu'elle est célébration solennelle, elle est déjà fête. Mais cette affinité n'empêche pas, au contraire, la cérémonie d'être débordée par le divertissement.

« Il en est des pratiques comme des croyances. L'état d'effervescence où se trouvent les fidèles se traduit nécessairement au-dehors par des mouvements exubérants qui ne se laissent pas facilement assujettir à des fins trop étroitement définies. Ils s'échappent en partie, sans but, se déploient pour le seul plaisir de se déployer, se complaisent en des sortes de jeux [...]. Aussi s'expose-t-on à des mécomptes quand, pour expliquer les rites, on croit devoir assigner à chaque geste un objet précis et une raison d'être déterminée. Il en est qui ne servent à rien ; ils répondent au besoin d'agir, de se mouvoir, de gesticuler que ressentent les fidèles » (Les Formes élémentaires de la vie religieuse).

Il est évident, en outre, que le divertissement prend facilement des formes rituelles, fût-ce sous la forme des « santés » bues et de tout ce que l'on pourrait appeler l'étiquette du « gueuleton ». Au reste, il semble qu'il faut un prétexte, baptisé « occasion », pour que la fête émane du divertissement. Il faut quelque chose à célébrer.

L'idée du caractère mixte de la fête (« mélange » de cérémonie et de divertissement) doit toutefois être nuancée. On s'exposerait à mal comprendre le sens des fêtes intimes ou tristes si on ne s'attachait qu'aux divertissements massifs, bruyants, désordonnés. Il y a évidemment une part de « divertissement » dans la parure de la tombe, l'achat et la disposition des fleurs aux fêtes mortuaires, de même que dans la pompe des funérailles, sans qu'il y ait besoin de faire appel aux ripailles qui accompagnent parfois les obsèques. Le divertissement est tout ce qui détourne de l'objet principal de la fête, tout en étant un ingrédient essentiel de la fête.

Cette mixité énoncée par Durkheim peut donc être prise comme première définition objective de la fête. Mais elle est aussi paradoxe, ambiguïté : toute fête, semble-t-il, se réfère à un objet sacré ou « sacralisé » (y compris l'anniversaire, ou des rites de passage comme le « conseil de révision ») et a besoin de comportements profanes. Toute fête déborde le temps quotidien, mais c'est parfois pour se dérouler dans une pure succession d'instants, dont le happening donne le cas limite. Toute fête vit sur un mode extra-quotidien, mais nécessite de sélectionner des éléments caractéristiques de la[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : maître assistant de sociologie à l'université de Paris-VIII, professeur de sociologie (unité pédagogique d'architecture numéro 4), Paris

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Médias

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Fête de Pongal, Inde

Saint Nicolas - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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