FEU, élément
Au lieu de l'eau de Thalès et de l'air d'Anaximène, Héraclite d'Éphèse (~ 535-~ 475) pense que le principe de toutes choses est le feu, le Soleil lui-même n'étant qu'une mitraille incandescente. À ces trois éléments Empédocle ajoute la Terre. Dans la cosmogonie platonicienne (Le Timée), qui reprend et développe la théorie d'Empédocle, le feu est représenté par un tétraèdre régulier, constitué de quatre triangles équilatéraux (les plus beaux) provenant eux-mêmes de la réunion symétrique de six triangles rectangles.
Les quatre corps platoniciens (feu, air, eau, terre) sont devenus par la suite les « quatre éléments » ; mais, pour sa part, Descartes préféra dire que le feu était un « phénomène » provoqué par le mouvement de la « matière subtile ». Il restait toutefois à circonscrire un concept aussi difficile que celui de phénomène, dont il ne suffit pas de déclarer que c'est une chose bien connue de tout le monde. Boerhaave (1668-1738) essaye de préciser cette notion en cherchant une propriété caractéristique permettant une mesure quantitative ; mais la sensation de chaleur lui semble vague et imprécise pour permettre une détermination de la « quantité de feu » ; et il en est de même de la lumière (la lumière de la Lune concentrée par une lentille ne chauffe pas !). La dilatation des corps soulève aussi des difficultés, car tous les corps ne se dilatent pas de la même façon. Le feu, dit Boerhaave, c'est cette « chose inconnue par ailleurs » qui a la propriété de pénétrer tous les corps solides ou fluides et de les dilater de façon à leur faire occuper un volume plus grand. Aucun autre corps ne possédant cette propriété sauf le feu, voilà sa marque ! Seulement, le feu n'augmente pas le poids des corps. Il serait donc un « incorporel », une matière « impondérable ». Telle est l'opinion de Newton dans son Optique. Mais Boyle maintient que les atomes du calorique ont un poids, et il pense avoir pesé, grâce à plusieurs expériences, les particules de feu (huit onces d'étain soigneusement pesé, et enfermé dans un ballon hermétiquement fermé, sont maintenues en fusion pendant une heure un quart ; après refroidissement, le métal et la chaux dont il était recouvert avaient accru leur poids de vingt-trois grains et plus !). Par conséquent, pense Boyle, les particules de feu ont dû traverser le verre et s'incruster dans le métal. Pourtant, un demi-siècle auparavant, J. Rey (1583-1645) avait fait remarquer que l'augmentation du poids était due à l'air « rendu plus dense dans le vaisseau, plus lourd et dans une certaine mesure plus adhésif » par la chaleur du fourneau.
Le feu, avec J. J. Becher (1635-1682) et G. E. Stahl (1660-1794), prend le nom de « phlogiston » ou « phlogistique », jusqu'à ce que Lavoisier, par une expérience toute similaire à celle de Boyle (mais en remplaçant l'étain par du mercure), arrive à une conclusion toute contraire : le poids additionnel vient de quelque chose qui se trouvait déjà dans le flacon. Mais Lavoisier pesait le flacon tout entier et fermé, tandis que Boyle avait pesé le métal seulement ! Cela n'empêcha pas Lavoisier de faire figurer le « calorique » parmi ses éléments (ainsi que la lumière).
L'idée du feu-élément ne fut détruite que vers le milieu du xixe siècle, quand J. R. Mayer et J. B. Joule déterminèrent expérimentalement J, l'équivalent mécanique de la calorie, dont le nom rappelle le lointain « calorique » (1841). Comme l'électricité et le magnétisme, la chaleur devient ainsi une des multiples formes de l'énergie.
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Écrit par
- Georges KAYAS : maître de recherche au CNRS, physique corpusculaire
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