FEUILLETON
Le xixe siècle voit triompher l'imprimé et la galaxie Gutenberg traverser son ciel de part en part. À l'intérieur d'un marché en expansion galopante, livres, journaux, brochures et feuilles volantes se multiplient et connaissent des tirages de plus en plus élevés. Le chemin de fer favorise leur circulation et leur consommation. Soutenues par des techniques d'impression de plus en plus performantes, l'édition et la presse deviennent de véritables industries qui tantôt se font concurrence et tantôt entrent en collaboration. On assiste ainsi à l'ouverture d'un vaste champ de la « littérature » à l'intérieur duquel des individus de plus en plus nombreux tentent leur chance et font carrière. À leur tête, des écrivains et des journalistes, engagés dans d'âpres luttes pour le succès, le pouvoir et l'argent.
Une nouvelle littérature populaire
C'est dans de telles conditions qu'un art de masse voit le jour. Il met en œuvre de nouveaux supports d'expression, de nouveaux modes de diffusion. Lorsqu'il s'affirme à l'époque romantique, il n'est pas d'emblée distinct d'une littérature plus reconnue.
Ainsi, Charles Dickens ou Honoré de Balzac jouent sur plusieurs registres littéraires et s'adressent à des publics encore mal définis. Cette phase ouverte et quelque peu confuse sera de courte durée. Dès la moitié du siècle, le clivage est à peu près acquis : on fera dès lors nettement le départ, pour le roman français par exemple, entre la pratique cultivée et de bon aloi qu'incarnent Gustave Flaubert ou les frères Goncourt et une production triviale dont Ponson du Terrail offre le meilleur exemple.
Les contempteurs de la littérature populaire, dont Sainte-Beuve, l'appelleront industrielle. De fait, elle est régie par la loi économique, c'est-à-dire par une exigence de rentabilité, mais elle se caractérise bien autrement encore, Loin de s'adresser au seul peuple, elle retient l'attention d'un public socialement composite. Elle trouve à se diffuser par des canaux variés, qui la font passer de l'oral à l'écrit (mélodrame, chanson) ou allient le texte à l'image (Les Voyages extraordinairesde Jules Verne dans l'édition Hetzel, la bande dessinée inventée par Christophe). Mais sa forme la plus achevée correspond à ce singulier phénomène qu'est le roman-feuilleton. « Littérature du bas » paraissant au « rez-de-chaussée » des gazettes (autrement dit en bas de page), évoquant par prédilection un monde souterrain, le feuilleton en dit long sur la littérature de grande diffusion et sur sa position dans l'espace social et littéraire.
Dans la première moitié du siècle, quelques auteurs d'importance vont s'identifier tout particulièrement à ces nouvelles conditions de production, explorant et exploitant toutes leurs ressources. On songe ici à Balzac pour la France et à Dickens pour la Grande-Bretagne, dont les carrières offrent plus d'un trait commun. Ils sont de ceux qui participent au mouvement ascendant de la bourgeoisie et se jettent dans la mêlée avec une fougue désordonnée qui convient sans doute mieux aux lois du marché qu'aux règles de l'institution littéraire. On ne peut certes les tenir pour de simples polygraphes, car, à travers le disparate de leurs productions, une œuvre se construit. Pourtant, ils n'atteignent progressivement à cette unité qu'en recourant aux différentes ressources de l'appareil littéraire et en publiant parfois à l'excès. Ils vont et viennent, passent du livre au journal et du journal au livre ; ils font du feuilleton l'instrument de leur succès, écrivent dans la fièvre et appliquent même à la partie la plus choisie de leur œuvre les recettes éprouvées de la littérature triviale (ainsi du retour des personnages chez Balzac).[...]
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Écrit par
- Jacques DUBOIS : docteur en philosophie et lettres, professeur à l'université de Liège
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