FIDELIO (L. van Beethoven)
Unique opéra de Ludwig van Beethoven, Fidelio connut une genèse difficile, qui explique peut-être qu'en dépit de ses traits de génie, certains, mettant en doute le sens dramatique du compositeur, le jugent imparfaitement réussi. Le livret est une traduction et une adaptation par Joseph von Sonnleithner d'un drame du Français Jean-Nicolas Bouilly, Léonore, ou l'Amour conjugal, déjà mis en musique par Pierre Gaveaux en 1798. Commencée au début de 1804, une première version de l'œuvre, en trois actes, est achevée durant l'été de 1805 et créée le 20 novembre de la même année – douze jours avant Austerlitz –, au Theater an der Wien de Vienne, sous la direction du compositeur, avec la soprano Anna Milder-Hauptmann (Leonore) et le ténor Friedrich Christian Demmer (Florestan) ; elle essuie un échec et ne connaît que trois représentations devant un public composé en majorité d'officiers français, dans une ville qui vient d'être occupée par les troupes de Napoléon. Beethoven se résout à remanier son œuvre avec l'aide du poète Stephan von Breuning ; cette deuxième version, condensée en deux actes, est représentée deux fois au Theater an der Wien, les 29 mars et 10 avril 1806 ; c'est encore Anna Milder-Hauptmann qui chante Leonore mais Demmer a été remplacé par Joseph Röckel ; le succès est là mais le public est cependant trop clairsemé. Devant les critiques du baron Peter von Braun, directeur des théâtres de la cour, Beethoven décide de retirer son ouvrage. Huit ans s'écouleront avant qu'il n'accepte de remanier une nouvelle fois son opéra, avec le librettiste Georg Friedrich Treitschke ; cette troisième version, en deux actes, est créée le 23 mai 1814 au Kärntnertortheater de Vienne, toujours avec Anna Milder-Hauptmann et un ténor italien nommé Radichi dans le rôle de Florestan ; Pizarro est chanté par le baryton Johann Michael Vogl, qui sera l'ami et l'interprète favori de Schubert. C'est cette version définitive qui est aujourd'hui le plus couramment représentée.
À ces différentes versions correspondent plusieurs ouvertures : Leonore no 2 (version de 1805), Leonore no 3 (version de 1806, la plus célèbre, parfois jouée entre les deux tableaux du second acte), et Fidelio (version de 1814) ; l'ouverture Leonore no 1, prévue pour des représentations à Prague en 1807 qui furent annulées, ne sera jamais exécutée du vivant du compositeur.
Beethoven gardera toute sa vie un profond attachement pour Fidelio, qui non seulement offre des scènes bouleversantes et une ampleur dramatique novatrice, mais aussi exprime certains idéaux de liberté et de justice, hérités de l'Aufklärung et du Sturm und Drang, dont il ne se défera jamais.
Argument (version de 1814)
L'action se déroule à la fin du xviiie siècle en Espagne, dans une prison d'État près de Séville.
Florestan, un noble espagnol, s'est attiré la haine du gouverneur Don Pizzaro, qui l'a fait jeter dans sa terrible prison. Leonore, son épouse, réussit à pénétrer les lieux sous l'habit d'un jeune homme du nom de Fidelio (symbolisant la constance de son amour), avec pour dessein de le délivrer.
Acte I. Dans la cour de la prison, Jaquino (ténor), adjoint du geôlier Rocco, presse la fille de celui-ci, Marzelline (soprano), de ses avances, qu'elle repousse tout en exprimant de la compassion à son égard (duo « Jetzt, Schätzchen » : « Maintenant, mon trésor »). Restée seule, elle avoue en effet son amour pour Fidelio, nouvel assistant de son père, dont elle ignore la véritable identité (air « O wär' ich schon mit dir vereint » : « Ô si seulement j'étais déjà unie à toi »). Rocco (basse) puis Fidelio (soprano) arrivent et remarquent l'émoi de Marzelline. Un quatuor en canon est engagé par Marzelline (« Mir ist so wunderbar » : « Quel sentiment étrange »), pendant lequel chacun[...]
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Écrit par
- Timothée PICARD : ancien élève de l'École normale supérieure et de Sciences Po Paris, assistant à l'université Marc Bloch (Strasbourg), critique musical
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Média