FIGURATION, paléolithique et néolithique
La représentation – ou ce que nous appelons aussi l’« art figuratif » – n’est apparue dans l’histoire de l’humanité qu’avec Homo sapiens, l’homme « anatomiquement moderne », c’est-à-dire nous-mêmes. Mais la manifestation d’un sens esthétique peut être datée de beaucoup plus loin dans le temps. Chez les animaux, l’identification d’un tel sens pourrait relever, de notre part, d’un certain anthropomorphisme, lorsque nous admirons, par exemple, les formes régulières d’une toile d’araignée, d’un nid d’oiseau, sinon les alvéoles d’une ruche. On cite cependant le cas du bowerbird ou « merle bleu d’Australie », un passereau dont le mâle, pour attirer les femelles, compose une sorte de jardin à l’aide de déchets divers et colorés récupérés un peu partout : fragments de jouets, capsules, plumes, fleurs, etc. Cette forme concrète et matérielle de parade nuptiale relève-t-elle d’un sentiment esthétique ? Ou ne suggère-t-elle pas, à l’inverse, qu’un tel sentiment se serait développé chez les humains en raison de son efficacité sociale, opérant comme chez le bowerbird – mais à une bien plus large échelle – une forme de sélection naturelle ?
Le plus ancien objet qui puisse relever d’un tel processus date de trois millions d’années. On a retrouvé dans la grotte de Makapansgat (Afrique du Sud), abri d’australopithèques, un galet rougeâtre de la taille d’un poing qui provenait d’un lieu situé à une trentaine de kilomètres de là et avait donc été nécessairement apporté sur les lieux. Or ce galet naturel comportait plusieurs perforations tout aussi naturelles, qui lui donnaient l’allure saisissante d’une tête humaine. Il est difficile de n’y voir qu’un simple hasard. Beaucoup plus tard, il y a environ 50 000 ans, des hommes de Neandertal, dont les capacités psychomotrices furent très proches des nôtres, avaient cette fois collecté dans la nature et déposé dans une grotte d’Arcy-sur-Cure (Yonne) deux fossiles (un polypier et un gastéropode) et deux morceaux de pyrite de fer, quatre objets « inutiles », donc, mais aux formes insolites et régulières. Furent-ils, dans la grotte, les éléments d’une forme de parade nuptiale ? Par la suite, avec Homo sapiens, la récolte d’objets naturels « curieux » ne fit que s’amplifier : fossiles, cristaux de quartz, pyrites, galènes… Finalement, les « cabinets de curiosités et d’antiques » de la Renaissance, à l’origine de nos musées, ne procéderont pas autrement.
Pour le préhistorien André Leroi-Gourhan (1911-1986), qui effectua dans la grotte d’Arcy-sur-Cure un travail de fouille fondateur, « l’art figuratif proprement dit est précédé de quelque chose de plus obscur ou de plus général qui correspond à la vision réfléchie des formes. L’insolite dans la forme, ressort puissant de l’intérêt figuratif, n’existe qu’à partir du point où le sujet confronte une image organisée de son univers de relation aux objets qui entrent dans son champ de perception. Sont insolites au plus haut point les objets qui n’appartiennent pas directement au monde vivant, mais qui en exhibent ou les propriétés ou le reflet des propriétés » (Le Geste et la parole).
Le goût des formes
Cette curiosité esthétique s’accompagna cependant d’actions directes sur la matière, esthétiques en même temps qu’utilitaires. Les premiers outils connus sont désormais datés de près de trois millions et demi d’années. Ils ont été trouvés à Lomekwi (Kenya). À cette époque, les seules espèces humaines étaient les différentes formes d’australopithèques, tels ceux qui ramassèrent le galet de Makapansgat. Ces outils se présentent encore comme de simples tranchants aménagés sur des pierres volontairement brisées. Mais, à partir de deux millions d’années, émergent les premiers Homo erectus. Ceux-ci, qui vont bientôt[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
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