FIGURATION, paléolithique et néolithique
Pourquoi des femmes nues ?
Quant aux représentations humaines, la plus ancienne connue est la « Vénus » de Hohle Fels (Jura souabe), une statuette féminine en ivoire de mammouth, haute de six centimètres et dotée d’un sexe et de seins démesurés. Elle comporte à la place de la tête un petit anneau destiné à la suspension. À peu de distance ont été découverts des fragments de flûtes en os de vautour, les plus anciens instruments de musique connus, si l’on excepte la flûte supposée néandertalienne, mais controversée, de la grotte de Divje Babe (Slovénie). D’une autre grotte souabe provient la statuette en ivoire d’une trentaine de centimètres de l’abri Stadel, à Hohlenstein, un corps vraisemblablement féminin mais surmonté d’une tête de lionne. Dans la grotte Chauvet, la seule représentation humaine, sur une excroissance de la paroi qu’on pourrait trouver de forme phallique, est un bas-ventre féminin peint en noir, qui ne comporte que le triangle pubien, la vulve et le haut des cuisses. Ce bas-ventre est surmonté d’une tête de bison – animal « féminin » au temps de Lascaux, d’après André Leroi-Gourhan. Juste à gauche se déploient l’encolure et la tête d’une lionne. Dans le reste de la grotte, outre des mains positives et négatives, toutes en ocre rouge, on trouve également cinq triangles pubiens gravés, et un autre peint en noir.
Toutes les manifestations esthétiques que nous venons d’aborder se déroulent durant la première période du Paléolithique supérieur en Europe, marquée par l’arrivée d’Homo sapiens et appelée Aurignacien, du nom d’une grotte de la Haute-Garonne. Elle dure de 39 000 à 29 000 ans environ avant notre ère. Elle est suivie par le Gravettien, du nom de l’abri de La Gravette à Bayac en Dordogne, qui s’étend de – 29000 à – 20000 environ. Les œuvres pariétales connues pour cette seconde période sont beaucoup plus rudimentaires et, avant la datation de la grotte Chauvet, on avait tendance à y placer les premiers développements de l’art, après des balbutiements aurignaciens. Depuis, sous réserve de nouvelles découvertes, il paraît probable que la trajectoire de l’art paléolithique n’ait pas été linéaire mais ait beaucoup varié au cours du temps, même si les conventions graphiques sont restées les mêmes : presque uniquement des animaux, représentés de profil, flottants et non intégrés dans un paysage, et sans scènes narratives, à de rares exceptions.
En revanche, la période gravettienne est réputée pour ses quelque deux cents « Vénus », figurines féminines nues aux formes opulentes, d’un style très différent de celle de Hohle Fels, mais construites suivant un canon identique du Périgord jusqu’à l’Ukraine, qu’elles soient en ivoire pour la plupart, mais aussi en pierre (comme à Willendorf en Autriche), en argile cuite (comme à Dolní Vĕstonice en Tchéquie, le plus vieil objet en cette matière), ou même représentées en bas-relief et peintes en rouge, comme à Laussel en Dordogne. Un autre trait caractéristique est, à de très rares exceptions près (comme la célèbre Dame à la capuche de Brassempouy, fragment de figurine en ivoire dont on ne connaît pas le corps), qu’elles n’ont pas de visage, que leur tête soit lisse ou même recouverte d’une résille, comme à Willendorf. L’uniformité de leur canon de construction, bien mis en valeur par André Leroi-Gourhan, confirme les relations culturelles qui unissaient de proche en proche ces petits groupes de chasseurs-cueilleurs sur des milliers de kilomètres. Elle montre aussi qu’il ne s’agissait pas de représentations individuelles, mais de figures codées.
Pourquoi, dès les premières représentations aurignaciennes, puis pendant le Gravettien et au-delà, cette fixation sur le corps féminin érotisé et sans visage, parfois même réduit, sur les parois des grottes, à la simple représentation[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
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