FIGURATION, paléolithique et néolithique
Révolution néolithique, révolution des images
En effet, à partir de – 10000 environ, dans l’actuelle période interglaciaire, des communautés de chasseurs-cueilleurs, de manière indépendante dans plusieurs régions du monde, se sédentarisent et inventent progressivement la domestication des animaux et des plantes, qui caractérise ce qu’on appelle le Néolithique. Ce bouleversement radical s’accompagne aussi d’une modification des figurations, sans que l’on puisse établir l’effet et la cause. Néanmoins, le rapport à la nature change : les humains ne se vivent plus comme une espèce animale parmi d’autres, mais entreprennent de dominer la nature. Le thème de la femme et des animaux sauvages reste présent, comme c’est le cas pour la statuette féminine assise de Çatal Hüyük (Turquie), flanquée de deux léopards sur lesquels elle pose ses mains, image de la « maîtresse des animaux » qui se retrouvera dans les religions méditerranéennes d’époque historique. On a voulu rapporter les statuettes féminines de cette période à l’agriculture et à la fertilité. Mais pareille thématique, on l’a vu, est bien antérieure et d’origine paléolithique. On a même supposé, avec Johann Jakob Bachofen au xixe siècle, repris par Marija Gimbutas à la fin du xxe siècle, que ces statuettes témoigneraient pour cette époque d’un matriarcat primitif, de sociétés où les femmes auraient exercé un pouvoir politique exclusif. Un système qui n’est cependant avéré nulle part dans le monde.
À côté de ces statuettes, qui semblent plutôt relever de cultes domestiques, sont élevées les premières constructions à but exclusivement cérémoniel et sans doute religieux. Ainsi, à Göbekli Tepe (Turquie), une vingtaine de constructions circulaires en pierres sèches, d’une vingtaine de mètres de diamètre, englobaient dans leurs murs des stèles en forme de « T » de trois mètres de haut, ornées de bas-reliefs représentant des animaux sauvages (lions, sangliers, renards) presque toujours mâles. Non loin de là, de la ville d’Urfa provient la plus ancienne statue en pierre, de taille humaine, jamais trouvée ; elle est également masculine. À Aïn Ghazal (Jordanie) ont été découvertes une vingtaine de statues humaines en chaux, sur un bâti de joncs, les yeux peints au bitume, et d’un mètre de hauteur. Sur plusieurs sites, on récupérait le crâne de certains défunts, sur lequel on modelait un nouveau visage d’argile, avec des yeux en coquillage. L’émergence de l’agriculture coïncide donc avec une intense effervescence des représentations, de nouvelles techniques et de nouveaux thèmes. Il semble bien que ce soit à cette époque que les humains commencent à créer des dieux à leur image, tels qu’ils seront aux époques historiques.
Lorsque le Néolithique s’étend à l’Europe sous forme de petites communautés villageoises, les expressions figuratives restent modestes. Il s’agit essentiellement de figurines féminines dans un premier temps, mais qui se font de plus en plus rares au fur et à mesure de la progression vers l’ouest. Lorsque apparaissent les premières sociétés inégalitaires, celles de l’âge du cuivre ou Chalcolithique, une nouvelle thématique s’impose, sculptée ou gravée, celle d’hommes en armes et en figure de pouvoir. Elle durera jusqu’à nos jours, faisant passer à l’arrière-plan les représentations féminines.
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
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