FIGURES PEINTES. ESSAIS SUR LA PEINTURE (J.-L. Schefer) Fiche de lecture

Jean Louis Schefer n'est pas de ces intellectuels médiatiques et, sans doute, sa démarche atypique menace-t-elle une léthargie dominante de la pensée que dissimule mal l'hystérie généralisée des discours. C'est ainsi à distance du spectacle culturel français que l'auteur a récemment retracé son parcours intellectuel, en réponse à la sollicitation de la revue américaine Artforum. Revenant, à l'occasion de cet exercice narcissique périlleux, sur sa rencontre avec Roland Barthes dans les années 1960 et sur sa participation à l'effort de « bricolage » théorique en marge des institutions dans la revue Communications et au sein du groupe d'étude théorique de Tel Quel, il soulignait encore les enjeux qui motivèrent, à cette époque, la « constitution ou la reconstitution d'un tissu du langage » dans le structuralisme. Cette esquisse d'autobiographie éclairait surtout la position spécifique de Jean-Louis Schefer qui a « assez vite opté pour une voie de travail assez personnelle » et déployé en ce sens un champ d'intérêt élargi qui embrasse, dans un même temps, « la préhistoire, le cinéma, la théologie médiévale ou la peinture ».

Comme son titre l'indique, Figures peintes. Essais sur la peinture (POL, 1998) rassemble une quarantaine de textes sur l'art de Jean Louis Schefer; essais et articles publiés en majorité dans des catalogues d'exposition et des revues, plus ou moins largement diffusés, entre 1976 et 1996. Curieusement, la diversification des sujets d'étude qui caractérise le mode de pensée de l'auteur – et que la dispersion première des textes préservait – fait donc l'objet d'une division par recueil, d'autant plus marquée par la parution d'une autre anthologie, au titre en apparence tout aussi explicite : Choses écrites. Essais de littérature et à peu près (POL, 1998). Si la multiplication et la simultanéité de ses intérêts concourent, pour l'auteur, à une problématique générale (moins un système qu'« un relevé des métaphores du monde »), une telle distinction entre les « choses écrites », d'une part, et les « figures peintes », de l'autre, paraît, somme toute, assez arbitraire. Elle semble, en effet, relever d'un effort de classification auquel Jean-Louis Schefer se montre par ailleurs rétif. Or la réunion de ces Figures peintes – dissociées d'un tout que l'on devine sans vraie limite – permet précisément de saisir que, au sein même de cette catégorie que semble spécifier le titre, la réflexion de l'auteur relève, à tous les niveaux, du mélange et du caprice.

Ce qui frappe d'abord, c'est un sentiment de disparité qui bouscule le lecteur et le conduit de Watteau à Picasso, de Jim Dine à Philippe de Champaigne, partant du prétexte d'un tableau (« Une scène de Poussin ») ou de l'observation d'une œuvre (« Twombly : principe d'incertitude »). Ce lecteur, qui est déjà un autre, est entraîné dans une visite d'atelier (« À l'usine, Bernar Venet », moitié journal de voyage, moitié réflexion esthétique), puis au musée des Beaux-Arts de Reims (« Fleurs, femmes, enfants »). Enfin, il est renvoyé aux ouvrages dont le texte offre une lecture : le livre de Gilles Deleuze sur Francis Bacon, Logique de la sensation (La Différence, 1981), ou le Jacopo da Pontormo de Jean-Claude Lebensztejn (Aldines, 1992) – deux auteurs qui, différemment, se sont laissé dévorer par leur sujet. Le tout sans ordre sinon celui, chronologique, de la parution initiale des textes. Cette diversité résulte, pour une part, du jeu de la commande (institutionnelle, amicale, ou les deux à la fois) qui motive tous les textes, à l'exception du premier : « Watteau ». Clairement, l'« être social anachronique » de Jean Louis Schefer[...]