POLICIER FILM
Comment ne pas considérer, à côté du western et de la comédie musicale, le film policier – le thriller des Américains – comme un genre cinématographique dont l'évolution a reflété celle du cinéma ? Puisant à ses débuts dans la littérature populaire, il a contribué à attirer dans les salles obscures une foule énorme qui venait vibrer aux périls de Pauline ou aux exploits de Judex étalés sur plusieurs épisodes. Par la suite, transformés en scénaristes, Faulkner et Anouilh, parmi d'autres, ont introduit une certaine ambiguïté morale dans les histoires où toute séparation semblait abolie entre le milieu des gangs et la bonne société, où le bien et le mal recouvraient une même réalité : ce fut l'apogée du « film noir » dont Hawks, Huston, Walsh, Welles, Lang et Preminger signèrent les principaux chefs-d'œuvre. La dégradation du roman policier gagnant le thriller, les films consacrés à James Bond sonnèrent le déclin passager du genre. L'histoire du crime n'est-elle pas inépuisable ? Les œuvres de Brian De Palma, Martin Scorsese, David Cronenberg ou, dans une veine plus parodique, des frères Coen, le montrent assez.
Esthétique du film policier
On peut définir le film policier comme le récit d'une chasse à l'homme. Il diffère du film d'aventures en ce que le mystère entoure jusqu'à l'explication finale des motifs du poursuivant ou la personne du poursuivi. C'est le plus souvent la seule curiosité du spectateur que l'auteur cherche à exciter : l'intrigue est alors la pièce maîtresse du film. Mais toutes les données peuvent être fournies d'emblée : l'atmosphère, la peinture d'un caractère, la description d'un milieu constituent alors le ressort essentiel de l'œuvre.
La faiblesse du film policier par rapport au roman saute aux yeux. Ce qu'une action contient d'ambigu ou de mensonger n'apparaît pas à l'image. Comme l'a noté Freud, celle-ci peut être contredite, elle ne peut pas se contredire. Ce que l'image cache ne pourra se révéler que dans une autre image. Faiblesse mais aussi force, car il devient plus aisé d'égarer le public. Dans Le Grand Alibi (Stage Fright, 1950) de Hitchcock, le criminel raconte le meurtre en omettant son propre rôle, et la fausseté de son récit ne peut être dénoncée que par une autre image. Le procédé est largement exploité par Kurosawa dans Rashōmon (1950).
De toute façon, le film policier suppose à la fois la passivité et la complicité du spectateur. Ce spectateur, cloué dans son fauteuil, doit accepter de ne recevoir qu'un certain nombre d'informations, sans pouvoir procéder à des vérifications ou à des compléments d'enquête ; mais il doit aussi s'identifier avec le héros. « Le sujet est toujours meilleur, observe Hitchcock, quand les spectateurs peuvent passer par les mêmes sentiments que les acteurs sur l'écran. »
Contraint de tout exprimer visuellement, le film procède selon une démarche différente de celle du roman. « La surprise, explique Hitchcock, doit être dans l'image, et le choc dans les découvertes de la caméra, non dans les progrès de l'enquête. » L'auteur est conduit à conjuguer deux éléments : le découpage des séquences et le montage des images. Le découpage privilégie le suspense en ralentissant l'action par une attente que clôt une image choc, transposition cinématographique du coup de théâtre. Le montage favorise le thrill (frisson) en précipitant le rythme des images pour provoquer un mouvement rapide et violent. L'art du film policier tel que l'a conçu Hitchcock consiste à faire succéder à ce que Freud appelle une angoisse primaire née d'une tension une angoisse secondaire qui libère la peur ; au suspense fait suite le thrill ; une action jusqu'alors lente se prolonge[...]
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Écrit par
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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