POLICIER FILM
L'évolution du film policier
Cinéma populaire et anarchie
L'avènement du cinéma est contemporain de l'apogée du mouvement anarchiste et de l'évolution de la littérature policière de la simple énigme criminelle (Émile Gaboriau et Arthur Conan Doyle) vers un message social plus ou moins ouvertement exprimé. Le cambrioleur mondain Arsène Lupin, parangon de la reprise individuelle, n'est pas sans affinité avec le célèbre « anar » Marius Jacob ; le succès de Fantômas ne peut s'expliquer, entre 1910 et 1914, sans l'atmosphère de terreur entretenue par la « bande à Bonnot ». Le cinéma annexe aussitôt ces héros de la geste anarchiste. Louis Feuillade traduit en images les exploits de Fantômas et des vampires, dont les aventures formées de plusieurs épisodes maintiennent le spectateur dans l'angoisse jusqu'à la dernière minute.
Le genre fait école : Za-la-Mort en Italie, Homonculus et le docteur Mabuse en Allemagne, la Main qui étreint aux États-Unis, Zigomar et Belphégor en France. La fascination du public pour le crime devient telle que la censure doit réagir. Feuillade délaisse Fantômas en 1916 pour un justicier sans peur et sans reproche, Judex. La revendication sociale héritée de l'anarchie disparaît à peu près complètement du film policier français jusqu'à La Chienne de Jean Renoir, en 1931.
L'ère du gangster
Le 16 janvier 1919 est ratifié le dix-huitième amendement à la Constitution des États-Unis : « La fabrication, la vente et le transport de boissons alcoolisées ainsi que leur importation et exportation sont prohibées sur le territoire des États-Unis. » L'ère des bootleggers et des rackets s'ouvre, le règne du gangster commence. Cependant que crépitent les mitraillettes, le cinéma – encore muet – s'empare de cette nouvelle épopée. Les Nuits de Chicago (Underworld, 1927) de Sternberg font entrer le gangster dans la mythologie hollywoodienne. Mais c'est avec l'avènement du parlant que triomphe le genre, sorte d'anti-western où le monde corrompu des villes de la côte est fait contraste avec celui des pionniers des grandes plaines de l'Ouest. En 1932 paraît sur les écrans Scarface de Hawks. Cette œuvre cruelle est un portrait sans concessions du gangster. Celui-ci inspire également Little Caesar (1930) de Le Roy, L'Ennemi public (Public Enemy, 1931) de Wellman, Carrefours de la ville (City Streets, 1931) de Mamoulian ainsi que de nombreux films de Dwan, de Curtiz et de Walsh. Une mythologie s'élabore, celle du milieu avec ses tueurs et ses mouchards, ses repaires enfumés et ses grosses voitures. Mais le caractère stéréotypé des personnages et le manichéisme de l'action (Bardèche et Brasillach parlent « d'une sommaire épreuve sportive entre le bien et le mal ») condamnaient le genre à une rapide saturation. Le 5 décembre 1933 est voté le vingt et unième amendement à la Constitution américaine qui abolit la prohibition. Au début de 1935, les « États généraux du crime » tenus à New York constatent, malgré les rackets, un déclin de leurs activités. En 1937, Edward Ludwig tourne un film qui se veut prophétique, Le Dernier Gangster. Se tournant vers les bandits de jadis, le western prend le relais.
Le film noir
Si le serial du cinéma muet s'inspirait de Gaston Leroux ou de Maurice Leblanc, c'est à une autre source que puise le film policier américain entre 1940 et 1955 : Dashiell Hammett, James Cain, Raymond Chandler, William Irish, ou Hemingway. Parmi les scénaristes qui travaillent à Hollywood : Steinbeck, Faulkner et Mac Coy. Sous leur impulsion, le genre prend un nouveau visage. C'est avec Le Faucon maltais (The Maltese Falcon) de John Huston, d'après Hammett, en 1941, que le changement de ton devient perceptible, même s'il s'agissait d'une troisième adaptation (les précédentes étant[...]
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Écrit par
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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