POLICIER FILM
Une morale ambiguë
À la fin d'une histoire policière est expliqué le crime, c'est-à-dire un aspect de la nature humaine. Dans les serials du cinéma muet, tout était simple : les bons d'un côté, les méchants de l'autre. Mais, avec l'avènement du film noir, la présence simultanée du Bien et du Mal en une même personne constitue le thème central du film. « Vous croyez que le bien c'est la lumière et que l'ombre c'est le mal, interroge un personnage du Corbeau en faisant osciller une lampe. Mais où est l'ombre ? Où est la lumière ? » Nul héros n'est plus ambigu que Bogart, dandy rageur et fatigué, paladin sans peur mais nullement sans reproche du film noir américain, agissant constamment aux frontières de la légalité et satisfaisant dans les coups reçus un incontestable masochisme. Que le héros soit assassin de sa femme (Conflict), gangster en fuite (Dark Passage, High Sierra) ou policier (The Enforcer), il reste le même personnage fort et vulnérable tout à la fois. La Loi du silence (I Confess, 1952) d' Hitchcock représente un cas limite. Le père Logan a reçu en confession le récit d'un crime dont il se voit accusé, car lui-même n'est pas absolument pur : la victime s'apprêtait à le faire chanter pour ses relations avec une femme mariée. Le problème n'est plus seulement ici de savoir si le prêtre restera fidèle à son secret, mais s'il n'est pas doublement coupable, non seulement en raison de son passé, mais aussi par la tentation qu'exerce sur lui le martyre. Mais, même dans ses films les plus complexes : Le Faux Coupable (The Wrong Man, 1956) ou Sueurs froides (Vertigo, 1958), Hitchcock semble s'être limité volontairement au divertissement du suspense.
On peut en dire autant de la plupart des adaptateurs de Graham Greene. Presque tous ses romans ont inspiré des films, mais, le plus souvent, la transposition a tamisé l'œuvre, n'en gardant que l'intrigue, les linéaments policiers aux dépens de l'intériorité. Espions sur la Tamise (The Ministry of Fear, 1943) de Lang comme Tueur à gages (This Gun for Hire, 1942) de Franck Tuttle en témoignent. Et s'il émane de Première Désillusion (The Fallen Idol, 1948) et du Troisième Homme (The Third Man, 1949) de Carol Reed une nostalgie et une impression de mélancolie qui appellent l'investigation en profondeur, il faut reconnaître que ni John Ford avec Dieu est mort (The Fugitive, 1947), tiré de La Puissance et la gloire, ni Dmytryk avec Vivre un grand amour (The End of the Affair, 1955), ni G. More O'Ferral avec Le Fond du problème (The Heart of the Matter, 1952) n'ont réussi à exprimer la dimension métaphysique qui caractérise les œuvres majeures du romancier.
Par un singulier renversement de valeurs, c'est la société dans sa chasse au crime qui est dénoncée par certains auteurs comme criminelle : ainsi dans J'ai le droit de vivre (You Only Live Once, 1936) de Fritz Lang, Je suis un évadé (I am a Fugitive From a Chain Gang, 1932) de Le Roy, Le Démon des armes (Gun Crazy, 1949) de Joseph H. Lewis. À la peinture méprisante du gangster chère aux films des années 1930 succède une tendresse apitoyée : Dix, fils déraciné d'un éleveur de chevaux, qui vient finir sa carrière de tueur dans l'herbe de son Kentucky natal dans Quand la ville dort (Asphalt Jungle, 1950) de John Huston ; ou une justification sociale, telle que la dépression de 1929 dans Bloody Mama (1970) de Roger Corman ou Bonny and Clyde (1967) d'Arthur Penn. L'importance prise par la violence quotidienne et l'insécurité provoquent à partir de Death Wish (Un justicier dans la ville de M. Winner) tout un courant de films qui condamnent le laxisme des autorités (D. Siegel, L'Inspecteur Harry, 1971, avec Clint Eastwood) et justifient l'autodéfense, courant qui culmine[...]
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Écrit par
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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