FINALITÉ
Les théories réductrices de la finalité
Ces théories reviennent toutes à méconnaître tel ou tel caractère manifeste de la réalité.
Le triage machinal
C'est une « sélection sans sélecteur ». La sélection naturelle darwinienne, à la différence du triage démocritéen, peut être explicative, dans tel cas précis et quand on peut identifier un sélecteur « conscient » (par exemple, les insectes pour l'évolution des plantes entomophiles). Les insectes, dans cet exemple, jouent le rôle de l'homme choisissant dans la production semi-fortuite d'un animal, d'une machine ou de son propre subconscient. Mais, invoquée en général, elle n'est qu'une pseudo-explication. On a utilisé le darwinisme pour être « cause-finalier » avec bonne conscience. Tel appareil organique est utile ? Il s'explique donc par la sélection naturelle. L'invocation n'est ni plus difficile, ni plus éclairante que celle de la Providence divine.
La causalité du besoin
C'est le fond des explications lamarckiennes. L'explication est réductrice si le besoin est considéré comme une force, une poussée, déterminant un fonctionnement qui, à son tour, détermine une croissance mécanique. Si, au contraire, le besoin est pris dans le sens de besoin ressenti, « parlant », appelant un satisfacteur pressenti (comme la soif appelle l'eau), l'explication est valable, mais elle n'est plus réductrice.
La causalité de l'image
Elle permettrait d'éliminer le caractère le plus choquant de la finalité : le survol du temps. Quand je prends le train pour Paris, mon action ne serait pas vraiment intentionnelle. L'image actuelle (« être à Paris ») fonctionnerait, dans mon système nerveux, comme une pure cause. De même, un plan d'opération, militaire ou technique. Cette thèse déforme la réalité : l'image, le plan, n'agit pas en bloc, à un moment précis dans une séquence de causes a tergo. Il est consulté et, s'il le faut, retouché dans le cours de toute l'action. Il est maintenu par l'agent, qui l'utilise concurremment avec des informations survenantes. En outre, la théorie ne rend pas compte de la finalité-harmonie. Dans la composition d'une œuvre, l'artiste va d'un thème-ébauche à une image.
L'effet de Gestalt
Soit un nouveau-né, s'efforçant de sucer son pouce. Selon le mécanisme pur, un fonctionnement nerveux, en des circuits tout préparés, conduirait le pouce vers la bouche. Ce mécanisme pur suppose une finalité dans l'agencement des conducteurs nerveux. Mais, remarque Koffka, les choses se passent tout autrement : l'enfant s'arrange pour trouver son pouce aussi bien en tournant la tête qu'en bougeant son bras ou sa main. Une forme globale de l'action s'improvise donc dans l'ensemble de la zone cérébrale motrice, comme un champ électrique se répartit dans un condensateur jusqu'à un état de moindre tension. Une finalité n'a donc pas à être postulée dans un agencement préalable des conducteurs nerveux. Une Gestalt dynamique englobe mécanisme et finalité, fait et valeur, moyen et but. Un comportement « gestaltisé » est à la fois fonctionnement et « tension vers... »
Cette thèse paraît juste dans les cas où le dynamisme, comme dans l'exemple de Koffka, est signifiant et « conscient ». Elle est fausse si elle prétend réduire l'action finalisée à un dynamisme physique extrémal. Elle est insuffisante devant les manifestations épigénétiques de l'action finaliste. Il est impossible de réduire, à partir d'un modèle schématique de moteur ou d'une ébauche nerveuse en gouttière, la formation d'un moteur perfectionné et d'un système nerveux adulte à l'équilibre dynamique d'une « bonne forme », extrémale, bien arrondie.
La cybernétique mécaniste[...]
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Écrit par
- Raymond RUYER : professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines de Nancy, correspondant de l'Institut
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