FINANCE DE MARCHÉ Comportement des investisseurs
Les propositions théoriques alternatives et leurs applications
De nombreuses théories alternatives ont été proposées pour modéliser les choix d'investissement en avenir risqué. Les principales sont le modèle d'espérance d'utilité dépendante du rang, issu d'un article de John Quiggin paru en 1982, et la théorie des perspectives développée à partir de 1979 par Daniel Kahneman et Amos Tversky, qui connaît un grand succès dans les applications financières.
La théorie des perspectives
Daniel Kahneman et Amos Tversky ont fondé leur formalisation sur les quatre observations suivantes :
a) La satisfaction que les investisseurs retirent de leurs choix dépend des gains et des pertes réalisés (par rapport à un niveau de référence) et non des niveaux absolus de richesse atteints.
b) Une perte de 100 euros engendre une désutilité plus forte que la satisfaction apportée par un gain d'un montant équivalent.
c) Les individus préfèrent obtenir 50 euros sans jouer plutôt que de participer à un jeu de pile ou face dont les résultats sont 0 ou 100 euros. En revanche, plutôt que de perdre 50 euros à coup sûr, ils préfèrent jouer à pile ou face avec des résultats de 0 et — 100 euros. En d'autres termes, ils présentent de l'aversion vis-à-vis du risque du côté des gains mais recherchent en revanche le risque du côté des pertes.
d) Les individus surévaluent les probabilités très faibles et sous-évaluent les probabilités moyennes.
En termes financiers, ce dernier point signifie que les investisseurs pondèrent fortement les événements extrêmes dont la probabilité de réalisation est très faible, comme par exemple les krachs boursiers. Cela peut induire une prime de risque plus élevée que celle issue des modèles de la théorie de l'espérance d'utilité, en particulier du fait de l'aversion vis-à-vis des pertes exprimée au point (b). Du côté des gains, cette déformation des probabilités explique pourquoi les individus participent à des jeux de hasard, même défavorables, quand il existe un montant élevé de gain.
La théorie des perspectives apporte des réponses à ce qui apparaît dans la théorie de l'espérance d'utilité comme une anomalie ou une énigme. Pour n'en retenir que trois, parmi beaucoup d'autres, citons l'effet de disposition, l'énigme de la prime de risque des actions et, enfin, la diversification sous-optimale observée dans les portefeuilles individuels.
L'effet de disposition
Quand l'homo œconomicus achète une action pour deux ans, il n'a aucune raison de revendre celle-ci au bout d'un an si le prix a monté ou baissé. Or de nombreuses études empiriques ou expérimentales (comme celle, devenue référence en la matière, de Martin Weber et Colin Camerer publiée en 1998), portant aussi bien sur des « petits porteurs » que sur des professionnels, ont montré que ces investisseurs ont tendance à revendre trop rapidement les titres gagnants et à garder trop longtemps les titres perdants. L'étude de Terrence Odean, réalisée en 1998, concernait le marché américain. De nombreuses autres ont suivi qui ont confirmé ce phénomène dans des pays très divers (comme la Finlande dans l'étude de Mark Grinblatt et Matti Keloharju en 2001, ou encore Taïwan dans celle de Pei-Gi Shu en 2005).
Les auteurs de ces études ont justifié ce phénomène par la théorie des perspectives de la manière suivante : comme l'individu considère un niveau de référence égal au prix d'achat de l'action, une hausse de prix l'amène dans la zone de la fonction d'évaluation où il manifeste de l'aversion vis-à-vis du risque. Il est donc susceptible de revendre son titre pour se tourner vers un actif moins risqué. En revanche, après une perte, il se situe dans la zone où il recherche le risque et garde son titre dans l'espoir d'un gain futur. D'autres analyses théoriques, conduites notamment[...]
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Écrit par
- Patrick ROGER : professeur de finance à l'université Louis-Pasteur, Strasbourg
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