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FINS DE L'ART (esthétique)

L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

Brève histoire de la fin de l'art

Si les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari (1550-1568 ; éd. critique A. Chastel dir., 12 vol., 1981-1989) conçoivent une fin de l'art, c'est en termes d'aboutissement d'une évolution. Depuis la manière « grecque » de peindre, c'est-à-dire depuis les fonds or des tableaux comme des absides, sur lesquels se dressent, hiératiques, les figures de la divinité, jusqu'aux fresques héroïques peintes par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine, l'art, aux yeux de Vasari, déploie un parcours qui le porte à la perfection. Celle-ci atteinte, l'art n'a plus qu'à se reproduire à son niveau le plus élevé, et ne jamais baisser. L'histoire de l'art est finie. Que Vasari ne saisisse pas le paradoxe qu'il y a à soutenir que les arts n'ont plus rien à créer, et que leur vocation est de s'imiter indéfiniment eux-mêmes, tient à sa conception de l'imitation et de l'histoire. Le terme est atteint parce que la réussite est complète. L'avenir de l'art est son présent indéfiniment reconduit, dans une gloire qui a le goût de l'éternité.

Le passage du Cours d'esthétique (1842 ; trad. franç. 1995) de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, qui orchestre pour la première fois – en 1828 – la fin de l'art, dit autre chose, marquant ainsi le début de la modernité, si ce n'est du modernisme : « Sous tous ces rapports, l'art reste pour nous, quant à sa suprême destination, une chose du passé. De ce fait, il a perdu pour nous ce qu'il avait d'authentiquement vrai et vivant, sa réalité et sa nécessité de jadis, et se trouve désormais relégué dans notre représentation. Ce qu'une œuvre d'art suscite aujourd'hui en nous, c'est, en même temps qu'une jouissance directe, un jugement portant aussi bien sur le contenu que sur les moyens d'expression et sur le degré d'adéquation de l'expression au contenu. Pour cette raison, la science de l'art est encore davantage indispensable aujourd'hui qu'elle ne l'était aux époques où l'art procurait une pleine satisfaction. L'art nous appelle à le soumettre à la contemplation de la pensée, non pas dans l'intention de créer des œuvres nouvelles, mais pour connaître scientifiquement ce qu'est l'art. »

La force d'évidence de ces lignes vient autant de leur tonalité nostalgique – l'époque de la splendeur de l'art est révolue – que de la vision qu'elles supposent de la modernité – les modernes n'ont d'autre choix que l'autoréflexion, leur position est hors de l'art. De quel art s'agit-il, et pourquoi la définition de la modernité est-elle concernée ? Hegel ne parle d'art qu'au singulier, nous laissant le loisir d'imaginer la majuscule qui le sanctifie, il ne vise pas tous les arts existants.

La détermination de l'essence de l'art se fonde sur la considération du « grand » art qui forme le goût, le bon goût, par l'exhibition du Beau. Grandeur grecque, grandeur d'un classicisme auquel le temple et la statuaire helléniques donnent sa référence artistique autant que sa valeur culturelle. Ce qui « demeure pour nous une chose du passé » est en fait cette osmose d'une société et de son art dans un âge d'or imaginé sous les traits du Discobole. Aux Anciens (dans un partage des rôles déjà établi par Friedrich von Schiller à la fin du [...]

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Écrit par

  • : professeur d'esthétique à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris

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