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DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881)

Le « grand » Dostoïevski

Le séjour en Occident et ses conséquences

Par la faute d'un contrat léonin, Dostoïevski courait à la catastrophe s'il ne livrait pas Le Joueur (Igrok) le 1er novembre 1866. Il prit une sténographe. La jeune Anna Grigorievna trouva le célèbre écrivain « malheureux, abattu, harassé » et sortit de chez lui triste jusqu'à la mort. Ils travaillèrent ensemble et, le 30 octobre, l'ouvrage était achevé. Le 15 février 1867, ils se marièrent, et le 15 avril, prirent le train pour Berlin, afin de fuir les créanciers.

À Dresde, Dostoïevski admire la Madone Sixtine et Marine avecAcis et Galatée du Lorrain ; à Bâle, il est horrifié par le Christ mort de Holbein. À Genève, il s'indigne de la haine vomie contre le christianisme et la Russie par les orateurs du congrès organisé par la Ligue internationale de la paix et de la liberté ; à Florence, il lit avec passion les journaux russes. Il n'aspire qu'à la Russie, mais comment y rentrer sans argent ? Les époux vivront à l'étranger la guerre franco-prussienne, la Commune de Paris, et ne regagneront Saint-Pétersbourg qu'en juillet 1871.

Ce long séjour loin de son pays a déterminé la suite de la carrière littéraire de Dostoïevski. L'Occident n'est plus seulement le règne haïssable de la bourgeoisie et de l'argent – qui hélas ! depuis l'abolition du servage s'introduit peu à peu en Russie. Il constitue le siège d'une vaste conspiration, menée par le socialisme international devenu athée, dont Dostoïevski eut à Genève la révélation. Tous ses efforts tendront désormais à mener contre l'ennemi un double combat : défensif, en dénonçant ses méfaits ; positif, en exaltant la Russie et le « Christ russe », puisqu'il n'est de christianisme à ses yeux que dans le peuple orthodoxe russe.

Les grands romans

Dostoïevski a tâché avant tout de créer ce chrétien russe idéal. Ce fut d'abord le prince Mychkine, aussi nommé « l'Idiot » parce qu'il est dénué d'amour-propre, traverse le monde et ses intrigues sans y prendre garde, risque toutes les rencontres sans perdre sa pureté. Néanmoins, ce personnage conçu à l'image du Christ ne joue pas le rôle bienfaisant et pacificateur qu'on attendait de lui, n'améliore pas la société corrompue qui l'entoure. Il est surtout l'interprète de la religion politique de l'auteur. Celui-ci a d'ailleurs ici mis en œuvre toutes les ressources de son art : une exposition qui pique la curiosité, des contrastes de caractères, de grandes scènes d'ensemble, le leitmotiv du couteau présage de crime, un final grandiose – le tête-à-tête fraternel du prince et de Rogojine devant le corps de la victime de leur passion.

L'Idiot achevé à Florence (publié en feuilleton de 1868 à 1869), Dostoïevski étudia ensuite un autre type du chrétien destiné dans sa pensée à sauver la Russie – ce devait être « la vie d'un grand pécheur » repenti –, mais il en fut détourné par un des ces faits divers pour lui lourd de signification : l'exécution, par le nihiliste Nétchaev, de l'étudiant Ivanov soupçonné de vouloir quitter son groupe. Là, plus question d'art, c'est un « pamphlet » qui s'impose contre l'entreprise de subversion : Les Démons (1871-1872 ; parfois traduit Les Possédés) n'en sera pas moins le tableau d'une société que ses vices et sa lâcheté ont désarmée, mise à mal par des révolutionnaires dont la troupe est formée d'imbéciles ou de fanatiques, et dont le chef est davantage guidé par une volonté de destruction que par une doctrine à proprement parler. Avec les personnages de Chatov, de Kirillov et de Stavroguine, le démon supérieur et mystérieux qui de loin inspire tout, le pamphlet s'est vite mué en un roman philosophique où de diverses[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de russe à l'université de Paris-Sorbonne
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Dostoïevski - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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