FIRDOUSI (940 env.-env. 1020)
Le mythe littéraire et l'histoire
Le Shāhnāmè noue trois cycles épiques en un récit continu : celui des rois d'Iran, celui des princes du Sistān à leur service et celui des ancêtres légendaires de la grande famille iranienne des Qāren. « Expliquer comment on en est là » : tel est le dessein du récit ; « là », c'est l'Iran sassanide et zoroastrien, son espace, sa place parmi les nations, la légitimité de ses rois. D'anciens mythes, des légendes à fond historique et divers événements de l'histoire sont distribués dans le temps en des raccourcis surprenants et significatifs, de façon à satisfaire au besoin de l'explication. Le mythe littéraire et son cortège de faits extraordinaires et de fatalités magnifie les entreprises héroïques ; mais la grandeur comme telle appartient aux nobles causes, à la royauté surtout, gloire de la nation et principe d'ordre. Les humains sont faibles, fantasques ou douloureux, l'orgueil les perd ; le destin les domine. Le désir du renom est le ressort de leur héroïsme, en œuvre seulement à l'occasion des justes vengeances qui ramènent le monde à l'équilibre.
L'ennemi, c'est d'abord ce frère de race séparé, Tour et ses descendants, derrière qui se profile le Mauvais, le Dīv sournois et fuyant, assimilé finalement au Turc qu'il faut maintenir au-delà de l'Oxus. Le plus grand héros, Rostam, a des faiblesses à sa mesure. Ce prince du Sistān (du Sakastān, pays des Saka ou Scythes) était la figure centrale de légendes locales, rattachées par la suite au cycle de Guershāsp connu de l'Avesta. Il présente quelques ressemblances avec l'historique Gundafarr, le prince d'origine parthe qui régna sur le royaume sace au début de notre ère. Les nobles au service des rois ont des noms rappelant ceux de rois parthes qui reconstituèrent l'empire achéménide face aux Romains.
En réalité, la matière épique du Shāhnāmè a pris forme à l'époque parthe parmi les ménestrels (gōsān) qui, à la cour et dans le peuple, chantaient le passé et commentaient le présent. Ce passé, c'était essentiellement la première grande monarchie purement aryenne de l'Iran oriental, les Kavis, dont on situe l'organisation à la fin du IIe millénaire avant J.-C. et dont le dernier roi fut le protecteur de Zoroastre. Les Achéménides sont passés sous silence, ils n'étaient pas zoroastriens. La partie la plus grandiose du Shāhnāmè concerne ces Kavis. Elle est précédée par la légende de la tripartition du monde, qui reflète celle que voyaient de leur temps les Parthes-Arsacides. Avant tout cela, une dynastie gouvernait seule le monde ; le nom de ses rois se retrouve aisément dans la tradition religieuse représentée par l'Avesta. Quand il aborde l'histoire des Sassanides, le Shāhnāmè cesse d'être proprement une épopée. Les faits historiques se font plus précis ; on y trouve de longs développements, politiques et moraux, caractéristiques de cette période et qui colorent l'ensemble de l'œuvre ; il s'y mêle d'agréables narrations de contes populaires auxquels la vie des rois a donné matière. Dans les sources de rédaction dont Firdousi s'est servi, on a, pour des besoins didactiques, pratiqué des simplifications par calque de modèles de personnages : ainsi les rois sages se ressemblent tous ; on a également éliminé des figures dont l'usure des traditions avait fait des doublets ; on a généreusement procédé à des soudures dynastiques ; on a iranisé Alexandre le Grand et assimilé le roman de ses aventures venu des Grecs. Ainsi le Shāhnāmè est moins l'histoire des rois qu'un livre pour les rois et leurs sujets ; il les encourage à la confiance en eux-mêmes et à la défiance envers le monde trompeur ; il est un réservoir de leçons illustrées de modèles bons[...]
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Écrit par
- Charles-Henri de FOUCHÉCOUR : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
Médias
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