FIXISME
Le fixisme correspond à la vision d'une nature qui reste immuable au cours du temps, à partir d'une origine considérée comme une création. C'est pourquoi fixisme et créationnisme recouvrent en réalité une même conception du déroulement temporel de la vie sur Terre.
Il est classique d'opposer fixisme et transformisme. Pourtant, beaucoup de résultats obtenus par des scientifiques fixistes seront ensuite réinterprétés, de manière efficiente, dans un cadre transformiste. Nous avons ici peut-être l'un des plus beaux exemples, en histoire des sciences, de l'efficacité de la démarche scientifique, car bon nombre de faits, utilisés en théorie de l'évolution, ont été établis par des fixistes compétents. En fait, aux xviiie et xixe siècles, trois fixismes différents vont se succéder.
Le fixisme de Carl von Linné (1707-1778) reflète une conception biblique de la création : « Il existe autant d'espèces différentes que l'Être infini a créé de formes différentes au commencement » (Genera plantarum, 1737). En botanique, depuis le xvie siècle, de multiples tentatives sont menées pour recenser les espèces peuplant la Terre. Très vite, on va se rendre compte qu'elles sont en fait des approximations plus ou moins grossières d'une unique classification, la classification naturelle, qui refléterait l'ordre de la nature. À cette époque, l'unicité de celle-ci allait de soi, car on la rapportait à l'unicité de la création divine. Le travail des botanistes va alors s'orienter vers la mise au point d'un outil permettant d'accéder à cette classification naturelle, la méthode naturelle. Ce sera l'œuvre de Bernard de Jussieu (1699-1777) et de son neveu Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836).
Au moment de la période révolutionnaire, cette méthode de classification va être utilisée par trois grands zoologistes : deux transformistes, Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), et un fixiste, Georges Cuvier (1769-1832). Ce dernier, fondateur de la paléontologie des vertébrés, fait surgir un nouveau concept, celui de la disparition des espèces. En effet, il va démontrer que de nombreuses espèces trouvées à l'état de fossile n'existent plus sur Terre. Il n'y a donc pas une nature immuable. De plus, Cuvier remarque qu'au cours des temps géologiques, des destructions brutales – des catastrophes –, résultats probables de cataclysmes, sont suivies de « productions » de nouvelles espèces – Cuvier n'utilisera jamais le terme création. Ainsi prend corps l'idée de catastrophisme et de révolution à la surface du globe, concept qui sera repris par plusieurs de ses successeurs, dont le plus important sera sans doute Alcide d'Orbigny (1802-1857). Ce dernier, dans son Cours élémentaire de paléontologie (1849), ne déguise pas sa pensée : « Les animaux [...] se sont succédé à la surface du globe, non par passage, mais par extinction des races existantes et par la création successive des espèces à chaque époque géologique. » Adolphe Brongniart (1801-1876) et Louis Agassiz (1807-1873) épousent les mêmes idées. Les ruptures, que d'Orbigny interprète comme des extinctions/créations, correspondent aux limites, toujours utilisées, des principaux étages de la géologie. Ainsi, malgré une interprétation erronée, le travail de terrain réalisé par d'Orbigny fait de ce dernier l'un des fondateurs de la paléontologie stratigraphique.
De Linné à d'Orbigny, on s'écarte de plus en plus d'une interprétation biblique littérale. L'ultime défense du fixisme se retrouve dans les premiers travaux de Charles Lyell (1797-1875). Celui-ci voyait alors un changement continuel, rythmé par une création continue des espèces, comme il l'expose dans son Manuel de géologie[...]
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Écrit par
- Hervé LE GUYADER : professeur émérite de biologie évolutive, Sorbonne université
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