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FLAGELLANTS

Bien que la flagellation comptât parmi les pratiques de macération jadis admises par l'Église, il faut attribuer aux espérances millénaristes (fondées sur la valeur prophétique attribuée par Joachim de Flore à l'année 1260) l'extension collective du phénomène d'autopunition et ses prétentions chiliastiques. L'idée d'une apocalypse imminente et de l'avènement d'un royaume des saints, largement répandue dans les mouvements de pauvreté volontaire, découvre dans la pénitence et l'expiation une façon de s'identifier au Christ et aboutit rapidement à un sentiment de perfection et de salut qui ne s'embarrasse plus de l'Église et de ses rites. Les processions de flagellants apparaissent à Pérouse en 1260 pour se propager jusqu'en Lombardie et au sud de Rome. La peste, les récentes famines et l'interminable affrontement des guelfes et des gibelins qui ensanglantait les cités avaient accrédité la fable de la fin du monde et incité les victimes à tourner en vertu exemplaire et élective la misère dont le sort les accablait. Les plus déshérités voyaient dans la mortification le signe d'une rédemption qui, des derniers, les élèverait, selon la formule biblique, au rang des premiers.

Dans les années 1261 et 1262, le mouvement des flagellants franchit les Alpes, gagne l'Allemagne du Sud et la Rhénanie, accentuant son caractère populaire, anticlérical et messianique. Dès lors, participer à une procession, dont la durée, de trente-trois jours et demi, rappelle l'âge du Christ, suffit pour assurer l'impeccabilité et une perfection qui récuse l'Église et la nécessité des sacrements. Dès 1262, les interdictions tentent vainement d'enrayer le mouvement. Alors qu'il semble s'éteindre de lui-même, la peste noire lui apporte en 1348-1349 une impulsion nouvelle. L'hystérie processionnelle se déchaîne avec d'autant plus de vigueur qu'elle passe pour détourner la colère divine. Des groupes errants, drainant de cinquante à mille participants, se succèdent par vagues aux Pays-Bas, en Allemagne, en Hongrie et jusqu'à Londres, où ils ne rencontrent guère de succès. Strasbourg, Bruges, Gand, Tournai, Dordrecht connaissent plusieurs occupations. Il apparaît de plus en plus nettement que les rassemblements sont dirigés par un maître laïque qui impose les pénitences, accorde l'absolution et préside à des séances de flagellation rituelle ; ces flagellations sont poussées à un degré d'extase collective tel que les péchés de la communauté chrétienne sont pris en charge dans une salutaire expiation.

Çà et là, l'Église reprend le contrôle du mouvement et saint Vincent Ferrier en vient même à l'encourager en Espagne. Mais le plus souvent l'anticléricalisme l'emporte, soutenu par l'élan chiliastique que fortifie un texte d'inspiration joachimite des années 1260, connu sous le nom de Lettre céleste. Séduite dans un premier temps, la noblesse prend ses distances, tandis qu'augmente la troupe des artisans et paysans pauvres, dont le messianisme se confond avec les aspirations révolutionnaires et, en quelque sorte, les pervertit. Ainsi voit-on les opprimés revendiquer leur oppression et leur dénuement et faire du renoncement une arme contre l'hédonisme des puissances religieuses et profanes. La confusion ne s'arrête pas là. De plus en plus fréquemment, l'anticléricalisme s'accompagne d'antisémitisme. En 1349, les flagellants incitent au massacre de la communauté juive à Francfort, à Mayence, à Cologne, à Bruxelles. La répression, organisée par l'Église et plus encore par le pouvoir civil, va dorénavant contraindre à la clandestinité les confréries d'autopunition. Vers 1360, le mouvement repart, à l'instigation de Conrad Schmid, principalement en Thuringe, où reste vivace la légende du retour de Frédéric, l'empereur[...]

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