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FLAMENCO

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Structures et styles

Mélodie et rythme

Mode de mi - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mode de mi

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Du point de vue mélodique, on peut classer les types de cante jondo en trois groupes principaux : chants en mode dorique (échelle grecque de mi, ), chants en mode majeur ou mineur, chants bi-modaux (où alternent le dorique et le majeur ou le mineur). Deux variantes du dorique de base sont fréquemment employées par altération ascendante de certains degrés. Chacune de ces gammes engendre une série particulière d'accords modaux aisément reconnaissables.

Habituellement, la ligne mélodique progresse par degrés conjoints, exceptionnellement par sauts de tierce ou de quarte. L'abondance d'appoggiatures ascendantes et descendantes, de retards, d'anticipations, de trilles, de mordants ou de battements vocaux dans des intervalles plus petits que le demi-ton caractérise le cante flamenco. À titre de comparaison, on rapprochera les douze degrés de la gamme majeure des dix-sept degrés de la gamme indienne et des vingt-deux de l'échelle arabe ou gitane.

Cellules élémentaires du cante - crédits : Encyclopædia Universalis France

Cellules élémentaires du cante

Il suffit de citer quelques cellules rythmiques élémentaires, analogues à celles de bien des musiques à danser populaires (, d'après Hipólito Rossi). L'utilisation des rythmes est très variée : on rencontre les rythmes binaires, les rythmes ternaires, la combinaison régulière des deux, la superposition polyrythmique (mouvement syllabique binaire sur accompagnement en mesure ternaire), le rythme libre (pour voix seule le plus souvent).

Formes

Les tonás

Les tonás ont une fonction délicate et importante : elles servent de base à la création et au développement des styles flamencos ; aussi sont-elles considérées comme cantes matrices (chants matriciels). Toná est la forme dialectale andalouse de tonada qui, sous son aspect folklorique, équivaut au chant traditionnel, au couplet populaire. Sous son aspect flamenco, toutefois, le romance est son plus proche antécédent littéraire et populaire ; si les Gitans andalous s'en inspirent, c'est qu'à leur arrivée en Andalousie le romancero jouissait de la plus haute estime. La structure du romance est semblable à celle des tonás par sa mesure et la distribution des strophes. Quant à leur forme musicale, les tonás admettaient rarement l'accompagnement instrumental, étant donné le caractère d'intimité propre à leur origine. C'est pourquoi on nomme aujourd'hui tous les styles qui s'y rattachent cantes sin guitarra (chants sans guitare).

On discute sur le nombre de tonás flamencas qui existèrent ; Rafael Marín assure, dans sa Méthode de guitare(1902), qu'une légende gitane en comptait trente-trois. Une autre tradition, gitano-andalouse, indique le chiffre de trente et un. De son côté, le folkloriste « Demófilo » – père de Antonio et Manuel Machado – décrit, en 1881, vingt-six tonás. On a prouvé, en consultant des chanteurs ou amateurs, d'âge respectable qu'à l'époque des cafés cantantes on parlait des dix-neuf tonás ; mais en comparant les appellations ainsi recueillies avec les références écrites, on arrive au nombre de trente-quatre. Ce nombre est incertain lui aussi, mais il permet d'affirmer que, sous le nom générique de tonás, furent groupés tous les chants sans accompagnement musical ; cette absence découle tout simplement et logiquement du mode de vie des Gitans et de l'interprétation des tonás. Par exemple, à la campagne, dans les forges ou dans les prisons (cárceles). Ainsi naquirent des dénominations comme carcelera et martinete, qui commencent à se populariser vers 1860 ; il n'est donc pas surprenant que maintes vieilles tonás, dont il n'est resté que le souvenir ou une mention dans un ouvrage, passent aujourd'hui pour des styles particuliers de marinetes. De même, le nombre de styles connus à ce jour demeure relatif car beaucoup furent désignés d'après le nom de l'interprète qui les popularisa.

Les siguiriyas

Au cours de la période de formation des chants flamencos, apparut la siguiriya, qui fut d'abord chantée sans guitare, plus tard avec accompagnement. L'influence des tonás sur les siguiriyas fut certainement importante ; elles leur ont donné leur caractère et leur musicalité intrinsèques. On doit cependant tenir compte des aspects suivants : presque tous les bons interprètes de tonás furent en même temps d'excellents chanteurs de siguiriyas ; les thèmes exprimés dans les couplets sont très proches par le dramatisme : il est par conséquent facile d'alterner siguiriya et toná ; chantées dans une même tonalité, elles se complètent ; dans les couplets de tonás, certaines formes curieuses de métrique ressemblent beaucoup à celles des siguiriyas. Elles dérivent de la séguedille populaire de la Castille et furent transformées par les chanteurs ; le dernier endécasyllabe dut naître grâce à quelque chanteur inspiré qui ajouta au vers une exclamation ou locution de cinq syllabes. Parmi les divers styles flamencos, la siguiriya est l'un des chants de base, du fait même des difficultés de son interprétation.

Les soleares

La majorité des chanteurs disent que la soleá est la mère du cante. Théoriciens et musicologues reconnaissent cette assertion, et les poètes proclament la soleá reine des chansons andalouses. C'est effectivement la soleá qui révèle la valeur et la connaissance du bon cantaor, car, étant donné le lien particulier entre rythme et mélodie, il est très difficile de la nuancer. La tradition orale et écrite donne comme origine à la soleá une ancienne mesure ternaire très dansante, appelée jaleo. Ce dernier jouissait d'une grande popularité au début du xixe siècle ; jusque vers 1850, on ne parlait pas de soleá mais de jaleo, tant que ce type de chant resta subordonné à la danse. À partir de 1850, en raison de la valeur des interprétations qui se révèlent à cette période, la soleá entre dans la catégorie des chants que l'on écoute.

Les tangos et les tientos

Le tango gitan est l'un des styles fondamentaux du flamenco. On le chantait et le dansait dès les temps anciens, à Cadix et Séville, ses villes d'origine ; on trouve toutefois des variantes locales, comme celles de Xérès et Málaga. Les tientos ont la même mesure que le tango, mais selon un tempo ralenti, devenu solennel sous l'influence d'autres styles. Le nom de tiento provient de l'un de ses couplets, où apparaît le terme.

Les serranas

Le chant des serranas est composé à partir de la siguiriya, mais interprété plus lentement. Sa métrique est celle de la séguedille castillane. C'est un style campagnard, eu égard à ses thèmes et à son expression ; il prit forme vers 1825.

Les alegrías et les cantiñas

Les divers styles de cantiñas et d'alegrías sont des chants naturels de Cadix et de ses puertos. Aux rythmes très dansants, ils combinent à l'envi éclat, sonorité et beauté. Leurs couplets chantent le paysage et l'amour, et s'achèvent sur un refrain fort animé.

La petenera

De tous les chants flamenco, la petenera est un des plus mélodiques, mélancoliques, sentimentaux et émouvants. Rattachée à la légende du mystérieux duende (démon) du flamenco, son étymologie, ses origines et son histoire prêtent à de grandes confusions. Une croyance populaire – démentie de nos jours – attribuait à la petenera une origine juive, en se fondant sur certaines allusions trouvées dans ses couplets. En réalité, d'après les découvertes récentes, ce chant doit son nom à une chanteuse appelée la Petenera, déformation de Paternera, c'est-à-dire native de Paterna de la Ribera (province de Cadix). Chant très populaire pendant la seconde moitié du xixe siècle, la petenera est surtout, actuellement, une chanson à danser.

La caña

Considérée comme l'un des styles flamencos les plus anciens, la caña dérive très probablement d'une chanson andalouse portant ce titre. C'est un chant difficile et lent, qui a subi diverses transformations au long des ans et qui, à notre époque, se chante presque toujours pour danser.

Le polo

Le polo est un chant d'autrefois qui connaît un regain de popularité et d'intérêt provoqué par les discussions et les théories qui tentent d'en dégager l'origine et l'importance. Certaines de ses théories musicologiques évoquent l'existence, au xviiie siècle, d'une chanson à danser appelée polo, ainsi que d'une autre, plus raffinée, appelée polo de salón ; on les retrouve peut-être dans certains opéras, tel Le Polo du contrebandier, dans lesquels se fait encore sentir l'influence populaire. D'après certains documents, on chantait le polo gitan dans la seconde moitié du xviiie siècle. Cela détruirait la théorie qui attribue la paternité du polo flamenco à un chanteur du début du xixe siècle. Les couplets du polo adoptent la forme du romance ; ils se chantent généralement dans une tonalité élevée et s'achèvent par une rengaine ou une soleá à la manière moderne.

Les bulerías

Pièce la plus vive et la plus rythmique de tout l'héritage flamenco, la bulería est un chant typique de fiesta créé par les Gitans de Xérès. Son mouvement allègre et son charme expliquent la grâce espiègle de ses figures de danse. On a beaucoup discuté de l'étymologie du mot bulería. Certains y voient un synonyme de burla (moquerie). D'autres soutiennent, avec plus de vraisemblance, que bulería dérive de bullería (bullir, bouillir, remuer, s'agiter) ; la déformation s'expliquerait par la difficulté qu'éprouvent les Gitans andalous à prononcer certaines consonnes.

Les fandangos

Selon les dictionnaires étymologiques, l'origine du mot fandangoest incertaine. Il dérive probablement du portugais fado qui désigne un chant et une danse typiques. Les musicologues s'accordent à utiliser le mot comme dénomination générique d'un air de danse espagnole en mesure de 3/4, de mouvement vif ; on peut y rattacher les malagueñas, les rondeñas, les granaínas, les tarantas, et les murcianas, peu différentes entre elles. À partir de 1870, le mélange des chants gitans et andalous a ouvert de larges horizons, où apparurent de nouvelles formes d'expression et de style ; le fandango devint le style le plus en faveur pour traduire cet enrichissement de nuances. L'étonnante variété du fandango andalou, comme expression typique de chaque village, de chaque contrée naturelle, servit de base essentielle au fandango non régional, c'est-à-dire au fandango personnel, devenu très populaire ; leur développement se situe entre 1880 et 1915, alors que le cante del Levante – chant du Levant, c'est-à-dire de la région de Murcie – était à l'apogée de sa splendeur. Ce fandango, qui fut créé à la fin d'une époque de grands malagueñeros, perdit ses attaches locales, refusa la complicité de la danse et le carcan de la mesure, au profit de l'épanouissement d'un charme mélodique différent pour chaque strophe.

Rappelons, en conclusion, que le premier interprète dont on ait des informations écrites est Tío Luis el de la Juliana, originaire de Xérès, chanteur de tonás qui vivait vers 1780. Parmi ses contemporains, on peut citer Tío Luis el Cautivo, lui aussi de Xérès, ainsi que María la Jaca. Au début du xixe siècle, plusieurs noms laissent un souvenir de maîtres authentiques, tels Cantoral, Frasco el Colorao, Curro Casado, Tía Salvaora, el Planeta y de el Fillo, el Nitri, Silverio, Manuel Molina, Carito, el Loco Mateo, Cagancho, Juan Pelao, el Chato de Jerez, Enrique el Gordo, Dolores la Parrala, Paco el Sevillano, Enrique el Mellizo...

De 1850 à 1920, lors de la floraison des cafés cantantes, émergent les figures d'Antonio Chacón et de Manuel Torre, de Xérès, véritables génies du cante ; ils firent école et fixèrent les structures des principaux styles employés de nos jours. Il en est de même de maints autres, grâce à qui restent encore vivantes les valeurs de cette « époque d'or ». Actuellement, il existe un groupe important d'excellents chanteurs, dont certains sont comparables aux meilleurs d'autrefois.

— José BLAS VEGA

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Écrit par

  • : musicologue, assesseur au conseil de l'École de musique andalouse et de flamenco

Classification

Médias

Flamenco à Madrid - crédits : Françoise Weyl

Flamenco à Madrid

Mode de mi - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mode de mi

Cellules élémentaires du cante - crédits : Encyclopædia Universalis France

Cellules élémentaires du cante

Autres références

  • CAMARÓN DE LA ISLA JOSÉ MONGE CRUZ, dit (1950-1992)

    • Écrit par
    • 817 mots

    « Plus qu'un révolutionnaire, je le vois comme un créateur et un rénovateur de la musique et des formes du flamenco. Son disque La Légende du temps est pour moi un des joyaux de la discographie flamenca de cette seconde moitié du siècle », écrivait Antonio Morciano à la mort du célèbre...

  • GADES ANTONIO (1936-2004)

    • Écrit par
    • 1 062 mots
    • 1 média

    Révolutionnaire et rénovateur sont les deux termes qui caractérisent le mieux le danseur et chorégraphe espagnol Antonio Gades qui, pour n'être ni gitan ni andalou, a su incarner le flamenco dans toute sa pureté primitive. Si Gades n'a pu achever son Don Quichotte, il laisse toutefois...

  • GALVÁN ISRAEL (1973- )

    • Écrit par
    • 960 mots
    • 1 média

    D'origine andalouse et initié très jeune à la culture flamenco, Israel Galván de los Reyes a été reconnu dès la fin des années 1990, en Espagne, comme l'un des danseurs les plus prometteurs de sa génération. Sa notoriété de danseur et de chorégraphe n'a ensuite cessé de grandir non seulement...

  • GUITARE, en bref

    • Écrit par
    • 1 435 mots
    • 6 médias
    Pour la musique populaire, citons Georges Brassens et ses fameuses « pompes » d'accompagnement.Chez les guitaristes de flamenco, après Sabicas (Agustín Castellón Campos, 1907 ?-1990) ou Niño Ricardo (1904-1974) arrive l'immense Paco de Lucía qui, après avoir accompagné El Camarón de la...
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