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FLANDRES (B. Dumont)

Flandres (2006), quatrième film de Bruno Dumont, opère un retour en grâce de celui-ci auprès de la critique, sinon du public, après l'échec de TwentyninePalmssorti en 2003. Sélectionné au festival de Cannes, il offre à son réalisateur son deuxième grand prix du jury, après celui qui lui fut remis pour L'Humanité en 1999.

Dès son titre, le film affiche l'ancrage du cinéaste, né en 1958 à Bailleul, dans la terre du nord de la France. Mais c'est aussi un leurre. En effet, très fortement structuré, Flandres met en relation deux univers : celui des Flandres, terre glaiseuse, froide, aux couleurs gris bleuté sous un ciel lourd, filmé en 35 mm, et celui du désert, monde de sable, de chaleur, du jaune beige, capté en 16 mm. Le montage parallèle de la partie centrale du film fera lien, alternant les scènes de guerre au Sud et les séquences montrant la solitude de l'héroïne, au Nord, tandis que les saisons s'écoulent.

Cette héroïne s'appelle Barbe (Adélaïde Leroux), frêle jeune femme livrant, au début de Flandres, son corps sans pudeur à son ami d'enfance Demester (Samuel Boidin).Lui est un homme massif qui, par tous les temps, travaille durement à sa ferme. Il y a aussi un autre garçon, Blondel (Henri Cretel), qui a séduit Barbe d'un seul regard, un soir au café. Elle se donne à lui, avant de réunir les deux hommes dans ses bras, auprès d'un feu de bois. Mais la première période de l'amour se termine lorsque les hommes sont appelés pour combattre au loin. Dans un pays indéterminé, qui évoque à la fois l'Algérie pour le passé et l'Irak pour le présent, Demester, Blondel et leurs compagnons s'entraînent avant le début des combats et leurs atrocités, puis l'ignominie (un viol), la vengeance (une castration), et enfin l'abandon (Demester survit en laissant derrière lui Blondel blessé). En retrouvant Barbe, Demester n'en dira rien. Peu importe, car la femme sait tout : « elle a tout vu ». C'est pourquoi Demester et Barbe peuvent s'aimer à nouveau.

Flandres reprend les éléments fondamentaux des deux premiers films de Bruno Dumont, La Vie de Jésus (1997) et L'Humanité. Les acteurs : des non-professionnels recrutés sur les lieux du tournage. La région du Nord : ici la campagne, là la ville, et parfois la mer dans les deux films précités. La parole : rare et brève. Le son direct : il fait valoir le vacarme des armes et des hélicoptères dans Flandres, le bruit des machines de l'usine et du TGV dans L'Humanité ou le fracas des courses de mobylettes dans La Vie de Jésus. Les personnages : nouant des relations aussi simples que brutales, où le désir sexuel s'assouvit aussi rapidement que l'amour se donne et se dit. Et le monde est toujours laid, hanté par la violence et l'horreur.

À l'inverse, le film s'oppose à TwentyninePalms, tourné aux États-Unis. Le cinéaste devait y affronter une terre nouvelle, à la fois édénique et menaçante, et utiliser différemment ses deux acteurs professionnels (David Wissak et Katerina Golubeva), capables de trouver l'harmonie au cœur du paysage sans s'y perdre. Le mal devait frapper par surprise à la fin d'une œuvre linéaire, pour que le film s'accomplisse en une version infernale du Voyage en Italie (1953) de Rossellini.

À l'explosion de violence finale de ce troisième film répond l'apaisement qui clôt Flandres par un mouvement d'appareil ascendant sur Barbe. Un véritable choix, car le cinéaste a modifié la fin initialement prévue durant laquelle Demester, revenu de la guerre, aurait massacré Barbe et tous ses proches.

On comprend la situation singulière de Dumont dans le cinéma français contemporain. Le cinéaste refuse radicalement la fiction conventionnelle. Il traite l'acteur non professionnel comme une pâte brute dont il fait surgir[...]

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Écrit par

  • : enseignant en cinéma à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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