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FLEUVES INTERNATIONAUX

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Évolution du droit fluvial

L'histoire du droit international fluvial comporte deux périodes. La première s'étend de la Révolution française à la conférence de Barcelone de 1921. Elle est placée sous le signe du principe de la liberté de navigation et de l' internationalisation des fleuves les plus importants. La seconde va de la conférence de Barcelone à nos jours. Elle est marquée par le déclin de ces principes, mais aussi par la mise en œuvre de nouvelles formes de coopération entre États.

Internationalisation des fleuves

Antérieurement à la Révolution, le droit fluvial européen était caractérisé par le monopole de chaque État riverain sur la portion du fleuve qu'il contrôlait. Aussi la navigation fluviale était-elle entravée par de nombreux octrois et, dans certains cas, par l'obligation de « rompre charge », c'est-à-dire de décharger les marchandises, dont le transport était assuré successivement par les navires des États riverains.

Par réaction contre ces usages, la Révolution française s'attache au principe de la liberté de navigation, qui, sous sa forme la plus achevée, doit être entendue comme le libre accès des navires des États, riverains ou non, à la navigation, sous réserve du paiement de droits uniformes correspondant au maintien et à l'amélioration des conditions de la navigation. Parmi les nombreux textes révolutionnaires, unilatéraux ou conventionnels, relatifs à la liberté de navigation, l'arrêté du conseil exécutif de la République française du 20 novembre 1792 est souvent cité, pour la facture de ses motifs : « Le cours des fleuves est la propriété commune, inaliénable, de toutes les contrées arrosées par leurs eaux. Une nation ne saurait sans injustice prétendre au droit d'occuper exclusivement le canal d'une rivière et d'empêcher que les riverains qui bordent les rives supérieures ne jouissent des mêmes avantages. »

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La liberté de navigation est consacrée en principe par l'acte final du congrès de Vienne (art. 108 à 117) et a été mise en œuvre par de nombreuses conventions particulières concernant des fleuves européens : acte de Dresde, le 23 juin 1821, pour l'Elbe ; conventions de Mayence, le 31 mars 1831, et de Mannheim le 17 octobre 1868, pour le Rhin ; traités de Londres, le 18 avril 1839, pour l'Escaut et la Meuse, de Paris le 30 mars 1856 ; de Berlin, le 13 juillet 1878, et encore de Londres, le 10 mars 1883, pour le Danube. Les puissances européennes, d'autre part, établissaient sous le signe de la liberté de navigation le statut de fleuves extra-européens : le Congo et le Niger (convention de Berlin, le 26 février 1885).

L'originalité du droit fluvial en Europe au xixe siècle résultait cependant principalement de « l'internationalisation » de certains fleuves entendue comme résultant de l'exercice de compétences plus ou moins étendues confiées à des commissions fluviales auxquelles participent les États riverains et certains non riverains.

Il est remarquable, à cet égard, que ces commissions ont été, dans l'histoire, les premières organisations internationales ouvrant la voie au développement de ces institutions, qui est l'un des traits dominants des relations internationales contemporaines. La Commission centrale du Rhin, prévue par l'acte final du congrès de Vienne et, à ce titre, « doyenne des organisations internationales », a commencé de fonctionner en 1831 sur la base de la convention de Mayence, et elle est encore en vigueur. Pour le Danube, deux commissions furent instituées. La première, établie en 1856, ayant autorité sur la partie inférieure du fleuve et dotée de pouvoirs étendus, a pu être considérée comme un véritable « État fluvial ». La seconde, moins importante, fut créée en 1921 pour la partie supérieure du fleuve.

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L'apogée du droit fluvial classique – c'est-à-dire libéral – fut atteint avec le traité de Versailles et la convention de Barcelone. Le traité de Versailles posait le principe du traitement égal de tous les pavillons riverains et non riverains et, dans le même temps, imposait à l'Allemagne un régime d'internationalisation de l'Oder, fleuve purement allemand, mais servant au commerce fluvial des États de l'Europe centrale. Aux termes de l'article 338 du traité était prévue une conférence internationale appelée à rédiger une charte de la navigation fluviale internationale. Elle se réunit à Barcelone en 1921 et produisit la convention du 20 avril 1921, relative au régime des voies d'eau d'intérêt international, avec un statut annexe et un protocole additionnel.

Ces textes, très ambitieux et peu réalistes, tendaient à faire prévaloir un système d'internationalisation automatique. C. Rousseau écrit à ce sujet : « Il [le régime de Barcelone] déclare en effet internationalisés tous les fleuves remplissant certaines conditions déterminées : le système d'internationalisation générale ou statutaire remplace la pratique antérieure (internationalisation spéciale ou exceptionnelle), d'après laquelle un fleuve ne pourrait être internationalisé que par une convention spéciale. » Il était en outre envisagé dans le protocole, pour les États qui y consentiraient, d'étendre, à charge de réciprocité, la liberté de navigation à tous les fleuves navigables, même nationaux.

La convention de Barcelone fut cependant un échec. Bien que théoriquement en vigueur entre vingt et un États et non abrogée, elle a été peu appliquée. Le récent Manual of Public International Law (Manuel de droit international ) publié sous la direction de Max Sorensen dit clairement que les dispositions de cette convention ont été dépourvues d'effet (« little or no legal signifiance »). La conférence de Barcelone marque effectivement le début d'une nouvelle période du droit fluvial international dont l'orientation a été précisément contraire à celle qu'elle préfigurait.

Développement des conventions particulières

Paul Reuter écrit : « Les circonstances politiques et économiques qui ont suivi la conférence de Barcelone n'ont pas été favorables au développement du droit fluvial international. » À vrai dire, ce ne sont pas seulement les circonstances politiques qui ont entraîné un changement en ce domaine, mais aussi les données techniques nouvelles relatives aux utilisations des fleuves.

Sur le plan politique, dès avant la Seconde Guerre mondiale, la volonté de l'Allemagne de se soustraire au traité de Versailles l'engageait à dénoncer ses obligations dans le domaine fluvial ; c'est ce qu'elle fit en 1936. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les antagonismes entre États socialistes et ceux du monde libre, comme les oppositions d'intérêts entre puissances anciennement coloniales et Tiers Monde, ont été, à l'évidence, nuisibles aux principes libéraux et à l'internationalisme en matière fluviale. Ce qui était une nouveauté progressiste dans l'Europe du xixe siècle devient un moyen de domination, condamné comme tel, dans le monde du xxe siècle. Dès 1948, lors de la conférence de Belgrade, les puissances de l'Est riveraines du Danube rejetèrent le système des anciennes commissions qui impliquaient la présence, sans réciprocité, des puissances occidentales dans cette région. Les États africains n'ont pas manqué, à leur tour, de rejeter les statuts fluviaux liés à la colonisation. Ainsi, l' accord sur le Niger du 26 septembre 1963, purement africain quant à ses signataires, abroge les dispositions de l'acte général de Berlin du 26 février 1885 et les conventions ultérieures.

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Sur le plan technique, d'autre part, les nouvelles utilisations des fleuves, irrigation ou énergie hydro-électrique, posent des problèmes très divers, particuliers à chaque cas, peu propices aux constructions juridiques générales.

La révision des principes du droit fluvial antérieur n'a cependant pas pour résultat d'en diminuer l'importance quantitative. Tout au contraire, de très nombreux accords et conventions ont été mis en vigueur au cours des dernières années, tant en ce qui concerne la navigation que les autres utilisations des fleuves.

En Europe, 170 cours d'eau à côté de 15 lacs et de 24 canaux ou réseaux de canaux sont l'objet de dispositions conventionnelles, de telle façon que diverses réglementations internationales affectent aussi bien les grandes artères fluviales tels le Rhin, le Danube ou l'Escaut, que des petits cours d'eau comme la Bidassoa (convention franco-espagnole du 14 juillet 1959) ou l'Omosson (convention du 23 août 1963).

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Hors d'Europe, les traités relatifs aux fleuves ne sont pas moins nombreux. Parmi ceux-ci, on citera, pour l'Afrique : l'accord du Nil, le 8 novembre 1959 (Égypte-Soudan) ; l'accord du Sénégal, en décembre 1964 (Guinée, Sénégal, Mauritanie et Mali) ; l'acte relatif au Niger signé à Niamey, le 26 septembre 1963 (Cameroun, Côte-d'Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute-Volta, Mali, Niger, Nigeria et Tchad) ; l'accord concernant le lac Tchad, le 22 mai 1964. Pour l'Asie : l'accord sur l'Indus, le 19 septembre 1960 ; l'accord sur le Mékong, en 1954. En Amérique, des accords bilatéraux ont été conclus entre riverains pour le Colorado, le Río Grande, le Saint-Laurent...

Chacun de ces traités répond à des conditions de fait, à des préoccupations, à des situations politiques différentes, et laisse relativement peu de place à l'élaboration théorique de principes généraux, qu'il s'agisse de la navigation fluviale ou des autres utilisations des fleuves.

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