FLUXUS
Avec la feinte désinvolture qui fait son charme, l'artiste français Ben Vautier définit Fluxus comme : « le nom d'un groupe créé en 1962 et dont les membres vivent un peu partout dans le monde [...]. Officiellement, rien ne les relie entre eux, hormis les influences qu'ils ont subies et une certaine façon de concevoir l'art. Les influences sont : John Cage, Dada et Marcel Duchamp » (La Vérité de A à Z, 1987). Fluxus aura été, en effet, non une avant-garde artistique constituée en ordre de bataille, mais un nom, un label, lancé à New York au début des années 1960, comme Dada l'avait été à Zurich en 1916. Un nom appelé à devenir signe de reconnaissance pour de très nombreux artistes attachés, dans les décennies 1960 et 1970, à poursuivre l'entreprise initiée par les dadaïstes et Duchamp : une remise en cause radicale de l'autonomie de l'art et des catégories esthétiques, des spécificités nationales, des genres et des hiérarchies.
Les tenants de Dada et de John Cage
La difficulté à définir Fluxus est proportionnelle à la volonté des artistes qui s'en sont réclamé d'échapper aux classifications. Leur recensement même est, comme il se doit (fluxus, en latin, c'est le flux, ce qui s'écoule, ce qui passe), fluctuant... La plupart des historiens s'accorderont à y compter : Joseph Beuys, George Brecht, Robert Filliou, Dick Higgins, Ray Johnson, Milan Knizak, Alison Knowles, George Maciunas, Jackson Mac Low, Charlotte Moorman, Yoko Ono, Nam June Paik, Ben Patterson, Willem de Ridder, Dieter Roth, Carolee Schneeman, Mieko Shiomi, Benjamin Vautier, dit Ben, Wolf Vostell, Robert Watts, Emmett Williams, La Monte Young. Mais cette énumération est incomplète, sujette à caution, et regroupe des personnalités de tous horizons, aux parcours et aux statuts bien différents. Devrait-t-on y inclure le nom de John Lennon, le chanteur des Beatles, entraîné dans Fluxus par sa compagne Yoko Ono ? Ou celui d'autres participants, mineurs ou passagers, mais dont le rôle fut un jour décisif ? Ceux que l'on a coutume de rattacher à d'autres regroupements (Daniel Spoerri, ou François Dufrêne, qui signèrent la Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme...) ont-ils ici leur place ? Une histoire, même brève, de Fluxus, ne pourra être qu'un périlleux exercice de confrontation avec les paradoxes lancés par les artistes et qui furent comme autant de leurres pour la critique.
Si une définition rigoureuse de Fluxus est impossible, on peut cependant dégager au moins deux traits indiscutablement communs à tous ceux qui ont participé à l'aventure. Le sens de la provocation néo-dada en est un, l'autre étant certainement la référence, fondatrice, au modèle musical en général, et aux expériences de John Cage en particulier. L'abondance, dans ce qu'on pourrait appeler l'iconographie de Fluxus, des instruments de musique – violons, pianos, contrebasses – en est l'expression métaphorique. En 1956, Cage avait une charge d'enseignement à la New School for Social Research, une université libre new-yorkaise. C'est dans sa classe, ou dans celle du compositeur Richard Maxfield, qu'allaient se croiser nombre des futurs acteurs de Fluxus : George Maciunas, La Monte Young, George Brecht, Alison Knowles, Dick Higgins, Jackson Mac Low... L'enseignement de Cage reposait essentiellement sur l'expérience collective, et visait à l'éveil des consciences par une maïeutique tout à la fois humoristique et sérieuse inspirée du bouddhisme zen. Plus qu'à un apprentissage de la composition musicale, c'est à une pédagogie de l'écoute qu'étaient confrontés ses élèves : Cage leur apprenait à aimer tous les sons, et à programmer des événements comme on écrit de la musique.
Une manifestation emblématique des débuts de Fluxus[...]
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Écrit par
- Didier SEMIN : professeur à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris
Classification
Média
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