FOI
Les deux pactes
Pour conclure ces analyses, reprenons la comparaison entre la formule romaine fides-foedus et la formule hébraïque 'emunah-berith. La comparaison peut s'appuyer sur le fait que l'on trouve dans l'histoire du peuple hébreu deux conceptions du pacte : une conception ancienne analogue à la formule romaine et une conception plus originale, propre à la religion d'Israël. L'intervention de la divinité n'est pas la même dans ces deux sortes de pactes. À date ancienne, chez les Hébreux, les Romains, les Grecs et bien d'autres, la divinité intervient en tiers entre les partenaires humains concluant un pacte ; elle intervient comme témoin invisible et garant des accords conclus entre les hommes (par exemple Gen., xxxii, 44 sqq.). Dans une forme plus typiquement juive, c'est un homme qui intervient comme médiateur de l'alliance entre le peuple d'Israël et Yahwé. Tel est le cas principalement de Moïse dans l'alliance sinaïtique, de Jésus dans le Nouveau Testament, de Muḥammad dans l'alliance céleste dont parle le Coran. On notera que la théologie de l'alliance change suivant le rôle attribué au médiateur : législateur, messie ou prophète.
Lorsque la divinité sert de médiateur (dans la formule ancienne), elle garantit par des sanctions religieuses la fidélité des partenaires humains. En revanche, lorsque la divinité entre comme partenaire du pacte, le rapport d'alliance devient intrinsèquement religieux, théocentrique. La parole donnée par Dieu, la promesse divine, appelle en retour la fidélité de l'homme aux commandements divins. C'est cette seconde forme de pacte, essentiellement théocentrique, qui caractérise la révélation biblique, fondement de ce qui s'est appelé « la foi » en grec et en latin.
La traduction grecque de la Bible, dans la version des Septante (iiie-iie s. av. J.-C.), a été jugée sévèrement par le judaïsme rabbinique. Le mot « foi » est l'un de ces termes qui évoquent presque irrésistiblement une interprétation globale de la Bible, la foi messianique s'étant, chez les chrétiens, dissociée du légalisme. Nos traditions sont nées de traductions successives, de l'hébreu au grec, puis du grec au latin patristique et médiéval. « Il faut attendre le christianisme, écrit G. Dumézil, pour que, sous l'influence d'originaux hébraïques et grecs, credo et fides reçoivent les valeurs qui nous sont familières [...]. Il est piquant de voir le saint polémiste d'Hippone, qui vivait si intensément sa fides-croyance, la chercher, sans bien entendu la trouver, dans la fides-loyauté du panthéon païen et traiter celle-ci avec autant de liberté que n'importe quelle divinité romaine : « Pourquoi (écrit saint Augustin) ont-ils fait de la foi une déesse et lui ont-ils consacré un temple et un autel ? L'autel de la foi est dans le cœur de quiconque est assez éclairé pour la posséder. D'où savent-ils d'ailleurs ce que c'est que cette foi, dont le meilleur et le principal ouvrage est de faire croire au vrai Dieu ? » (Cité de Dieu, iv, 19) » (Idées romaines, p. 58, 1969). Dans ce texte s'affrontent deux civilisations, deux conceptions du pacte social. L'une honorait la bonne foi, la Bona Dea ; l'autre s'estimait assez éclairée pour posséder la vraie foi.
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Écrit par
- Edmond ORTIGUES : professeur émérite à l'université de Rennes
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