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FOI

L'intelligence de la foi

Le 16 avril 1905, le philosophe Édouard Leroy avait publié dans les Cahiers de la Quinzaine un article intitulé : « Qu'est-ce qu'un dogme ? » Cet article engendra des controverses qui jouèrent un rôle central au cours de la crise moderniste. En 1907, sous le titre « Dogme et critique », l'auteur publiait de nouveau cet article en le faisant suivre de ses réponses aux objections. Étant donné qu'on appelle « dogme » toute doctrine faisant partie du « dépôt de la foi », la question posée par Leroy avait une portée très générale : qu'est-ce qu'une proposition théologique ? « Nous ne sommes plus au temps des hérésies partielles », écrivait-il ; il ne s'agit pas de savoir si tel ou tel dogme nous paraît acceptable ; il s'agit de savoir si les énoncés théologiques ont « un sens pensable », un contenu compréhensible. En les acceptant ou en les rejetant, pouvons-nous savoir ce que nous approuvons ou désapprouvons ? De quoi sont faits les jeux de langage que nous propose la religion ? La difficulté ne vient pas seulement du fait qu'ils utilisent souvent un vocabulaire désuet (celui des métaphysiques médiévales par exemple) ou des métaphores et autres formules allusives. Elle vient aussi de ce que les formulations religieuses tiennent un double langage déclaratif et normatif, mêlant de façon inextricable critères de vérité et légitimation d'une autorité, à mi-chemin entre la science et le droit, comme si l'on pouvait du même mouvement se prononcer sur ce qui existe en invoquant ce qui doit être. Les Anciens étaient moins sensibles que nous à ces façons de parler hybrides où l'on demande à l'existence de se conformer à l'idée plutôt que l'inverse. Dans la Bible, dans le Coran, dans n'importe quelle écriture sacrée, le vocabulaire de la religion apparaît partout multifonctionnel. En outre, la science des Anciens était totalisante ; elle prétendait expliquer globalement ce qu'elle était incapable de décrire analytiquement. Dans nos contrées, ce n'est guère qu'à partir du xviiie siècle que la littérature prit en charge l'une des fonctions de la religion, à savoir la connaissance du cœur humain, en même temps que l'universalité de la connaissance devenait la tâche infinie de la recherche scientifique.

En s'interrogeant sur le sens des énoncés théologiques, Édouard Leroy cherchait à concilier sa foi chrétienne avec l'honnêteté intellectuelle que requièrent les sciences de la nature et de l'histoire. Sa réponse était que les propositions théologiques ont une finalité pratique et ne doivent pas être traitées comme des énoncés scientifiques, au sens moderne du mot. Elles proposent à l'existence humaine une fin suprême. Mais celle-ci n'est pas donnée de l'extérieur comme un destin, elle est intérieure au devenir de la vie, elle se réfléchit dans une histoire en train de se faire. En effet, l'intelligence de la foi s'appuie sur une seule analogie fondamentale : le rapport de la créature à son créateur est analogue au rapport des hommes entre eux. Parler des êtres, c'est parler de leurs relations. Interpréter une proposition théologique consiste à établir une équivalence, au moins partielle, entre une phrase à l'indicatif et un ensemble de phrases à l'impératif. L'auteur expliquait ainsi que « la proposition „Dieu est un être personnel“ veut dire „comportez-vous dans vos relations avec Dieu comme dans vos relations avec une personne humaine“. Pareillement, „Jésus est ressuscité“ veut dire „soyez par rapport à lui comme vous auriez été avant sa mort, comme vous êtes vis-à-vis d'un contemporain“. De même, le dogme de la présence réelle veut dire qu'il faut avoir en face de l'hostie consacrée une attitude identique à celle qu'on aurait en face de Jésus devenu[...]

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