FOLIE (histoire du concept)
Le terme de folie, bien antérieur à l'institution du langage scientifique de la psychiatrie moderne, n'a jamais eu vraiment cours dans celui-ci. Cette relative incompatibilité a une très grande signification. L'idée d'assimiler la folie à une maladie, de vouloir coûte que coûte qu'elle soit semblable en son principe aux autres maladies, en dépit de différences qui demeurent irréconciliables envers et contre tout, cette idée, quoique fort ancienne, n'a jamais pu s'imposer absolument. Même l'emprise décisive que la pensée scientifique exerce sur la culture occidentale n'a pu parvenir à opérer cette complète assimilation. Le concept de maladie mentale ne recouvre donc pas purement et simplement celui de folie.
Bien que l'idée que l'Occident s'est faite de la folie ait connu de très importantes variations, elle n'a jamais cessé d'apparaître en liaison avec celle de la raison. La folie est l'autre de la raison, mais un autre dont le rapport à celle-ci varie selon les époques. La folie peut être un autre qui conteste la raison à l'intérieur d'elle-même. Elle peut être encore ce visage de ténèbres, cette certitude de mort, cette bête de désir, que la raison s'efforce de vaincre mais sur lesquels il n'y a pas de victoire définitive. Il y a donc une vérité de la folie, vérité tragique et d'avertissement. De là, l'extrême ambiguïté qui caractérise l'attitude de toutes les sociétés et de toutes les cultures vis-à-vis des fous. On les chasse, ou on les exhibe comme l'image de ce qui menace chacun. Ou encore, on leur donne la parole là où elle est retirée à tous les autres : les bouffons des princes et des rois. Elle témoigne de la perpétuelle illusion de l'homme, mais aussi de son contraire : « la folie de la croix ». Le sage, tel Érasme, peut la regarder de loin et s'en divertir.
De l'âge classique à la Révolution
Folie, déraison et société
On distinguera donc en elle, comme le fait Michel Foucault dans son Histoire de la folie à l'âge classique, un double élément. Un élément tragique et un élément critique ou de contestation. Au cours de l'époque moderne, ces deux éléments iront en se séparant toujours davantage. Le premier aura du reste tendance à disparaître ou du moins à s'occulter. Il ne surgira plus qu'épisodiquement, mais avec quelle force, chez Sade, Goya, Hölderlin, Nietzsche... L'âge du rationalisme accentue cette coupure tant sur le plan intellectuel que sur le plan social. Descartes a consacré à la folie au moins un texte célèbre. Mais il vise à l'exclure de l'ordre de la raison. Le fou ne peut penser, et la pensée ne peut être folle. La certitude de la pensée, qui repose entièrement sur son immédiate présence à elle-même – verum est index sui, dira Spinoza –, est indubitable. Au mieux, le fou ne peut que feindre de penser et il n'a rien à apprendre à celui qui pense vraiment, sauf de le mettre en garde contre les difficultés et les embûches qui hérissent le chemin vers cette vraie pensée.
Corrélativement, sur le plan social, la ségrégation s'organise. Les fous seront enfermés, non au titre de malades qu'on soigne, mais comme asociaux, objets à la fois de répression et d'assistance. À cette époque (dès le xvie siècle en Angleterre), l'Europe se couvre d'établissements d'internement, qui relèvent d'un statut assez indistinct et, de toute façon, non médical, et dans lesquels la justice et la société bourgeoise, avec l'aide des congrégations religieuses, s'occupent de cette assistance et de cette répression. À Paris, par exemple, selon une estimation de documents cités par Foucault, 1 p. 100 de la population s'y trouverait enfermé. Dans la société bourgeoise qui s'ébauche, il n'y a plus pour[...]
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Écrit par
- Alphonse DE WAELHENS : membre de l'Académie royale de Belgique, membre associé à l'université de Louvain
Classification
Média