FOLIE (histoire du concept)
La folie et la science
Cependant, ce régime ne peut fonctionner que si les fous demeurent constamment observés. La folie devient ainsi un objet de connaissance empirique et, pour employer un mot anachronique, psychologique, fort différent de l'objet plus ou moins fantastique qui s'offrait aux spéculations médicales. Mais, « si le nouvel espace de l'internement rapproche, au point de les réunir en un séjour mixte, la folie et la raison, il rétablit entre elles une distance bien plus redoutable, un déséquilibre qui ne pourra plus être renversé, aussi libre que soit la folie dans le monde que lui aménage l'homme raisonnable, aussi proche qu'elle soit de son esprit et de son cœur, elle ne sera jamais pour lui qu'un objet » (M. Foucault). Ce que le Moyen Âge et la Renaissance avaient vu, ce que l'âge classique avait tenté de refouler, à savoir que la folie est un possible de chacun et pour chacun, sera maintenant purement et simplement aboli, car il n'y a rien de commun ni aucun passage entre un sujet possesseur de raison et de science et son objet d'investigation. S'il y a des exceptions, il suffira de lire les auteurs et de s'informer de leur pratique pour s'assurer qu'elles ne vont jamais loin. C'est une question de savoir si l'esprit, voire la pratique psychanalytique, ont pleinement rétabli ce passage, à condition même, c'est une autre question, qu'ils le puissent.
La dissociation positiviste
L'époque positiviste va tirer toutes les conclusions de cet état de choses. Sur le plan de la science, elle défend avec acharnement un idéal immuable, exactement contenu dans le double sens de l'expression pathologie mentale : il n'y a pas d'autre explication ni d'autre cause aux désordres de la conduite, de l'affectivité ou de la pensée que les lésions ou les altérations de la matière cérébrale. À la limite, la psychiatrie se confondra avec la neurologie. L'idéal du savoir sera de faire coïncider la carte des maladies dites mentales avec celle des perturbations et troubles organiques. Il a fallu plus d'un siècle pour qu'on s'avise, et encore, que cette explication de la folie n'explique rien et n'en peut rien expliquer. De ce point de vue, l'histoire exemplaire de la paralysie générale ou syphilis nerveuse est doublement éclairante. Car, d'une part, elle fonde dans les faits un idéal d'organicité auquel ce succès rendra impossible de renoncer, bien que les progrès ultérieurs dans la voie qu'il trace aient été minces sur le plan des psychoses et nuls sur celui des névroses. Et, d'autre part, ce même succès montre aussi, si on y réfléchit, l'inanité de l'explication organique sur le plan de la compréhension de la conduite aberrante ou délirante : en quoi les lésions causées par le tréponème au cerveau du sujet atteint de paralysie générale rendent-elles compte de son délire des grandeurs ? Pourquoi ce délire est-il un délire des grandeurs et non pas aussi bien ou plutôt, comme dans le syndrome de Cottard par exemple, un délire de petitesse ? Une équivoque analogue tend à s'installer aujourd'hui, sur le plan du traitement, avec les progrès et l'escompte des progrès futurs de la chimiothérapie. Celle-ci, pourtant, n'existe guère à la belle époque du positivisme. Sur le plan de la thérapeutique, la position du psychiatre n'est guère aisée. Si, en tant qu'homme de science, il se comporte en neurologue déterministe, il ne peut accorder de crédit, en tant que thérapeute, qu'à des moyens d'intervention organique, qui, en fait, lui font presque entièrement défaut. Comme il ne peut renoncer, on verra se développer une pratique psychiatrique dont les principes sont en large contradiction avec l'esprit scientifique dont le psychiatre est imprégné. C'est pourquoi ces principes[...]
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Écrit par
- Alphonse DE WAELHENS : membre de l'Académie royale de Belgique, membre associé à l'université de Louvain
Classification
Média