FOLKLORE
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Folklore et psychanalyse
Sigmund Freud, qui s'est beaucoup intéressé au folklore, déclare : « On retrouve [la symbolique du rêve] dans toute l'imagerie inconsciente, dans toutes les représentations collectives, populaires, notamment dans le folklore, le mythe, les légendes, les dictons, les proverbes, les jeux de mots courants : elle y est même plus complète que dans les rêves. » Il écrit, par ailleurs : « Chaque fois que la névrose se dissimule sous ces symboles, elle suit à nouveau les voies qui furent celles de l'humanité primitive et dont témoignent maintenant encore nos langues, nos superstitions et nos mœurs quelque peu ensevelies. » Mais l'on trouve chez Freud peu de textes qui tentent une théorie des rapports entre la psychanalyse et le folklore. Ernest Jones, qui a consacré à celui-ci quelques études de psychanalyse appliquée, a abordé le problème général dans une communication au congrès de la Folk-Lore Society de Londres en 1928. La psychanalyse a démontré, dit-il, que nos idées conscientes, nos intérêts et nos croyances ont leur origine dans l'inconscient, le rôle de la conscience se limitant à la critique, à la sélection et au contrôle. Deux voies permettent aux représentations inconscientes de s'exprimer. La première leur fait subir un processus de transformation qui leur permet de s'harmoniser avec les exigences de la réalité extérieure et celles de la conscience interne (le surmoi). L'autre voie conduit à l'élaboration de ce que Freud appelle « formations de compromis ». Ces compromis s'établissent entre les représentations refoulées et les représentations refoulantes, entre deux forces antagonistes, le désir et la défense. On peut en trouver des exemples dans le symptôme, mais aussi dans des phénomènes non pathologiques tels que le rêve ou les croyances et les coutumes folkloriques. Celles-ci, selon Jones, « reproduisent les mêmes mécanismes mentaux particuliers aux productions de l'inconscient et, chose peut-être plus importante, elles révèlent le même contenu sous-jacent et dérivent des mêmes sources [...]. En d'autres termes, nous affirmons qu'il y a un lien étroit, d'une grande portée, entre la survivance de la vie primitive du passé d'un peuple et la survivance du passé de l'individu. » Jones semble donc adhérer à une définition qui explique le folklore par les survivances. Il n'ignore cependant pas les réactions qui se font jour à cette époque contre cette théorie et qui affirment le caractère vivace et actuel du folklore. Sans qu'il le dise bien explicitement, la psychanalyse serait en mesure de proposer un moyen terme qui concilierait la théorie des survivances et celle de l'actualité du folklore : émanations de l'enfance de l'individu et du passé de la collectivité, ces formations s'expriment sous des formes dynamiques et actuelles. Mais Jones tourne court et se contente de donner un exemple d'interprétation psychanalytique de données folkloriques (la toute-puissance de la pensée comme moteur des pratiques magiques), avant d'aborder la question du symbolisme. Le symbolisme, pour lui, désigne en psychanalyse un processus particulier par lequel une idée ou une démarche en représente une autre, refoulée, qui lui est associée dans l'inconscient. Et, comme pour Freud, c'est le même symbolisme qui œuvre dans l'inconscient de l'individu et dans les productions folkloriques. Le nombre des symboles possibles est infini, mais celui des idées inconscientes qui peuvent être représentées par un symbole est très restreint ; ce sont essentiellement les représentations liées aux sources de la vie, à la naissance, à l'amour, à la mort, celles mêmes qui sont aussi les pôles d'intérêt des expressions folkloriques. Il s'agit, en effet, comme dans le cas de la formation de compromis, de rendre exprimables et manifestes des représentations refoulées en les déformant et en les masquant, afin de rendre licite une expression interdite qui veut se faire jour. Il faut alors distinguer ce processus de celui de la sublimation, qui dérive une pulsion sexuelle vers des buts non sexuels (création artistique, investigation intellectuelle), et, par conséquent, il serait nécessaire de maintenir la distinction entre les phénomènes de « civilisation » issus de la sublimation de ceux de culture populaire. Dans un cas, il y aurait substitution, dans l'autre, compromis. Mais cette distinction est difficile à soutenir entièrement : comment imaginer, en effet, qu'il n'y ait pas une part de sublimation dans les créations d'un artiste populaire, qu'il soit chanteur ou sculpteur, par exemple ? On dira simplement que la censure préventive de la communauté dont parle Jakobson s'exerce beaucoup plus fortement sur les œuvres populaires que sur celles de la culture savante. Mais on ne peut identifier totalement cette censure préventive de la communauté avec la censure qui agit dans les formations de compromis, car la première s'exerce sur une œuvre après sa création : comme un néologisme linguistique, elle est entérinée par l'usage ou bien elle disparaît. En revanche, la seconde est à l'œuvre durant le processus de la création et infléchit celle-ci dans tel ou tel sens. Il n'est cependant pas interdit de penser qu'elles sont de même nature. Et, de toute façon, elles sont inconscientes l'une et l'autre.
Dans leurs travaux sur le folklore, les psychanalystes se sont efforcés pour la plupart de décrypter non seulement la double source des formations de compromis, mais aussi le symbolisme des matériaux folkloriques. Pour une tâche de ce genre les contes populaires constituent un champ d'application privilégié, comme ils l'ont été depuis l'origine pour le folklore comme discipline. S'il existe des symboles pourvus une fois pour toutes d'une signification précise, qu'il suffit donc de traduire quand on les rencontre, de même qu'on peut trouver le sens d'un mot étranger si l'on est pourvu d'un dictionnaire, en revanche, le déchiffrement doit se faire le plus souvent en tenant compte du contexte, c'est-à-dire de l'ordre et de la nature des autres motifs du conte, de ses variantes, voire du corpus tout entier – à la manière même dont on déchiffre un rêve grâce aux associations d'idées du rêveur. Les symboles ont en effet plusieurs sens et même un grand nombre de sens, « si bien que, comme dans l'écriture chinoise, c'est le contexte qui seul donne une compréhension exacte », dit Freud à propos de l'interprétation des rêves. Georges Devereux propose une distinction qui est proche de celle-ci, mais s'applique directement aux matériaux ethnologiques et folkloriques. Il existerait, selon lui, deux sortes de contenus latents dans chaque conte, mythe ou motif : un contenu latent universel, qui est le même dans toutes les populations où est connu ce type de narration, et un contenu latent particulier à telle population, déterminé par la culture de celle-ci et qu'on ne peut mettre au jour sans se référer à ce contexte culturel.
Cette interprétation symbolique ne peut s'appliquer qu'aux motifs du conte et semble ignorer que ce sont le choix et la séquence des motifs qui donnent à chaque type de conte son organisation, sa structure. Ce problème renvoie à un autre qui lui est connexe : celui de la fonction du conte populaire. Bruno Bettelheim, qui est un des rares à se l'être posé, affirme que les contes aident les enfants à régler les problèmes psychologiques de la croissance et à intégrer leur personnalité. Chaque conte, grâce – sans doute – à la séquence particulière des motifs qui lui donne sa structure, répond à un problème spécifique : conflit du principe de plaisir et du principe de réalité, phantasme de la méchante marâtre, intégration du ça, déclin de l'oralité, rivalité fraternelle, recherche d'identité, etc. Il faut cependant corriger sur un point cette théorie, qui est convaincante dans l'ensemble. Les contes populaires n'étaient pas, dans la société traditionnelle, destinés à la seule classe d'âge des enfants, mais à la communauté tout entière – enfants et adultes – qui les écoutait et dont l'inconscient assimilait les leçons. Les ethnologues contemporains acceptent volontiers pour leur part que les contes populaires aient des fonctions d'initiation. Mais la remarque la plus générale qu'on puisse faire après avoir tenté de donner une interprétation d'un conte populaire, c'est qu'il est pratiquement impossible d'en extraire tout le symbolisme tant il est riche – de la même façon qu'un rêve n'est jamais interprétable dans sa totalité. En poursuivant l'analogie entre ces deux cas et en se rappelant qu'un rêve s'interprète séquence par séquence comme un conte motif par motif, mais qu'un sens général se dégage de ce travail d'analyse, on peut supposer – et on vérifie souvent – que l'interprétation motif par motif d'un conte aboutit à un sens général propre à ce conte.
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Écrit par
- Nicole BELMONT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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