FONCTIONNALISME, géographie
L'idée de fonction, empruntée à la physiologie, et sa mise en doctrine(s) sous la forme du fonctionnalisme n'appartiennent pas en propre à la géographie. Dans les approches fonctionnalistes qui se sont développées au xxe siècle en sciences humaines et sociales à partir notamment des travaux de l'école française de sociologie, chaque élément d'une structure (la société) est défini par la fonction qu'il occupe dans cet ensemble. La persistance de l'emploi de la notion de fonction en géographie traduit donc la dimension de stabilité apparente que le géographe a longtemps attribuée à la société comme à ses rapports à l'espace-étendue, ce qui constitue une base du développement de la discipline. Dès le début du xxe siècle, Jean Brunhes (1869-1930), membre original de l'école française de géographie, en raison de son intérêt pour les questions sociales, s'est ainsi intéressé aux éléments du fonctionnement des sociétés liés à la maîtrise de leur environnement. Cependant, tant que la géographie humaine n'a pas cherché hors des aspects physiques du globe terrestre l'explication des régularités qu'elle rencontrait, le fonctionnalisme ou tout au moins l'analyse fonctionnelle n'ont pu s'y développer complètement.
Un premier usage systématique de la notion de fonction a ensuite servi à déterminer les entités pertinentes à retenir dans l'analyse géographique. Dans sa typologie de l'habitat rural en France (1927), Albert Demangeon (1872-1940), maître le plus influent de l'école française de géographie après la Première Guerre mondiale, abandonne ainsi certaines informations relatives au bâti (pente des toits, matériaux utilisés...) pour considérer comme primordiaux les aspects de l'habitat rural qui se rattachent à la fonction de production agricole (plan de la ferme, organisation du travail...). De même, l'analyse des fonctions urbaines permet de distinguer ports, villes industrielles ou centres administratifs (Pierre Lavedan, 1936). Avec le succès du fonctionnalisme aux États-Unis, Richard Hartshorne (1899-1992), le géographe américain qui y fera connaître les traditions européennes de la discipline, propose même un programme de recherche fonctionnaliste en géographie politique (The Functional Approach in Political Geography, 1950), avec détermination de la fonction centrale de l'État, celle de rassembleur et d'unificateur de régions.
Cependant, c'est seulement avec l'essor de la « nouvelle géographie » aux États-Unis, à partir des années 1950-1960, que l'analyse fonctionnelle devient le moyen pour la discipline de se conformer aux règles du néopositivisme. La notion d'espace devient centrale dans une « géographie quantitative » visant, par la mesure, à modéliser la description de la surface de la Terre sous forme de points, aires et réseaux qui en formeraient la structure organique. La distance euclidienne, traduite en termes de coûts par l'économie, devient un outil d'explication des localisations. Une partie de la « nouvelle géographie » emprunte donc les théories de l'économie spatiale élaborées par des auteurs allemands, comme celle des lieux centraux (Walter Christaller, 1933) qui explique l'espacement des villes par les distances-coûts, et tente de les valider (aux États-Unis, où ces théories sont rapidement remises en cause), voire de les appliquer dans l'aménagement (métropoles d'équilibre en France).
Ces théories supposent un espace isotrope et des principes d'analyse reposant sur les fonctions motrices explicatives des équilibres socio-économiques, notamment les fonctions de régulation et de domination. Mais cette approche fonctionnaliste est battue en brèche, à la fin des années 1960, à la suite des travaux de Torsten Hägerstrand. Lorsque ce géographe suédois[...]
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Écrit par
- Régis KEERLE : maître de conférence en géographie, Université de Rennes